5 novembre 2007

Le Guépard


C'est une bien belle traduction que nous a récemment livrée Jean Paul Manganaro. Celle d'un roman exceptionnel, lui-même magistralement immortalisé par Visconti, dans un film éponyme et digne vainqueur de la Palme d'or en 1963. A contempler aujourd'hui l'heureuse fortune de ce récit écrit par Giuseppe Tomasi di Lampedusa, c'est singulièrement amusés que l'on redécouvre que l'écrivain sicilien essuyait les refus récurrents des éditeurs italiens de l'époque, Mondadori en tête. L'affront est aujourd'hui réparé. Le Guépard fut publié en 1957, malheureusement à titre posthume. Consécration d'une oeuvre qui n'en méritait pas moins, c'est aujourd'hui l'un des titres majeurs de la littérature italienne de ce siècle. Un classique.

Sans doute parce qu'il en était lui même issu, Lampedusa retrace avec puissance, au fil des années 1860-1910, le destin d'une famille princière siciliene, les Salinà. Se regroupant autour de son chef, l'imposant, le léonin, le "guépardesque" Don Fabrizio, la famille contemple l'irrésistible processus d'unité italienne initiée en ces temps là par Mazzini et Garibaldi. C'est en effet précisément l'époque du débarquement des troubles garibaldiennes, du remplacement d'une monarchie par une autre, celle des Bourbons renversée par Victor Emmanuel, héraut de l'unité. Entre leur somptueux palais de Palerme et leur résidence labyrinthique de Donnafugata, les Salinà évoluent nonchalamment, au gré des évènements politiques majeurs. Au milieu de cette lente érosion qui les guette, et dont on sent que seule la présence de Don Fabrizio peine à contenir les fondements d'un édifice fragile, une passion naît. Celle de Tancredi, le neveu chéri, celui qui prit les armes pour la cause piémontaise, tranchant ainsi avec le tiède acquiescement du prince, pour la fille de l'opulent maire de Donnafugato. Une union qui semble sceller la compromission des Salinà. C'est que si Angelicà est d'une exceptionnelle beauté, elle n'en est pas moins issue d'un monde différent.

Tomasi di Lampedusa conte ici la lucide chronique d'une aristocratie sicilienne en déroute, d'une noblesse décadente. Décrépie comme les palais qu'elle habite. Aux termes d'une écriture riche et baroque, d'un style élégant, magnifiquement restitué par la toute récente traduction, c'est l'histoire d'une caste qui est relatée. Une caste au contact d'évènement qui vont en précipiter la chute, sous l'oeil froid du Prince et de son confesseur privé, le père Pironne. Et du lustre flamboyant des bals donnés et des convenances et bienséances de ce milieu, le Guépard en est le fidèle témoin. Au-delà, c'est une formidable analyse de la Sicile de cette époque, du comportement insulaire d'un peuple qui porte, aux dires de Salinà, depuis vingt siècles "le poids de magnifiques civilisations étrangères, toutes venues de l'extérieur, déjà complètes et perfectionnées", mais dont aucune n'a pu germer en eux. Plus qu'un roman brillant, miroir d'un passé suranné. Une vraie étude de moeurs.


Giuseppe TOMASI di LAMPEDUSA, Le Guépard, Seuil, coll. "Points", Rééd. 2007, 294 pages, 7,50 €.

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