4 octobre 2007

Meilleurs souvenirs de Grado

Meilleurs souvenirs de Grado, pièce écrite en 1976 par Franz Xaver Krœtz et mise en scène par Benoît Lambert, est le récit d’un couple d’allemands, Karl et Anna, proches de la cinquantaine, qui se rendent en Italie pour séjourner durant deux semaines dans un hôtel minable en pension complète. Au programme, découverte de la plage, située à dix minutes de l’hôtel - contrairement à ce que prévoyait la brochure qui promettait une vue sur la mer -, visite de la basilique Saint-Pierre, pont des Soupirs, promenade en bateau, concert de musique classique, et autres activités « clichés » qu’il faut avoir faites lorsqu’on est à tel endroit.

On sourit souvent, on rit même parfois, mais malgré l’humour grinçant distillé tout au long de la pièce, on peine à se moquer de ces personnages attachants, qui ne connaissent que la notion de labeur, et pour qui la valeur travail est prédominante, parce qu’il n’ont jamais rien connu d’autre, de par le milieu modeste dont on les imagine issus.

Anna et Karl forment un couple traditionnel, solide et uni.
Elle est tantôt anxieuse, tantôt hystérique ou enthousiaste, voire les trois à la fois! Arrivée à Grado, passées les premières heures de repos suivant un trajet pénible en voiture sur des routes nationales à moindre frais, elle est comme une enfant qui veut tout découvrir. Elle ne travaille pas, n’a pas de réelle vie sociale et ne vit qu’à travers celle de son mari. Conformément aux valeurs traditionnelles de l’époque, et bien qu’ils ne fassent pas partie de la catégorie la plus favorisée, elle s’occupe de leur enfant et c‘est cela sa seule activité. Il lui fera d’ailleurs remarquer que c’est lui qui « ramène l’argent à la maison » , en bon père de famille qui a sacrifié sa vie au profit de ceux qu’il aime.
Karl est d’ailleurs fatigué, usé par son travail à l‘usine. Il en est devenu très terre à terre, comptant le moindre pfennig qui sort de sa poche -chaque activité proposée par Anna est automatiquement traduite dans l’esprit de son mari en autant d’argent qu’il va falloir débourser-. Il semble avoir accepté de partir en vacances parce qu’il est de bon ton de pouvoir dire qu’on y a été, pour pouvoir s‘en enorgueillir auprès du peu d‘amis qu‘ils ont.
Pourtant, ces vacances ont quelque chose de salvateur pour ce couple qui a laissé s’installer la routine, et dont la libido s’est perdue en route.

Sur une scène reproduisant en arrière-plan une photographie grandeur nature de vacanciers sur une plage, réchauffée par une lumière intense, qui devient aussitôt veloutée une fois replongé dans l’intimité du couple, le tout ponctué de standards italiens mielleux, les deux comédiens, dans une mise en scène convenue, parfois inventive, sont bluffants de sincérité et de vérité. Ils prennent plaisir à jouer ensemble, et on en prend à les regarder, même si l’on ne parvient pas totalement à aimer cet ensemble empreint de tristesse et de mélancolie.
Les comédiens jouent juste et réussissent à communiquer, leur quotidien, la misère des personnages qu’ils incarnent, mais le texte lui-même est peut être le défaut majeur d’une pièce qui du coup perd de sa force, de sa puissance dénonciatrice: que cherche d‘ailleurs à dénoncer l’auteur? Que la « classe » ouvrière peine à s’offrir des vacances décentes? Que l’on est entré dans l’ère ultra consumériste et qu’il est répréhensible d’entretenir l’illusion que l’on appartient à une catégorie sociale se distinguant par des habitudes de consommation? Que les couches les plus populaires sont condamnées à devoir rêver de ce qu’ils n’auront jamais ou de ce qu’ils ne comprendront peut-être jamais car le concret les domine et l‘abstraction leur est inaccessible? On pourrait croire que Kroetz méprise ses personnages, qu’il voit anesthésiés par le désir d’obtenir, d’acquérir toujours plus de biens matériels futiles, attirés par toujours plus de nouveautés, et passant en fin de compte à coté de l’essentiel, dont-ils n’ont finalement pas idée! Mais il n’en est rien. L’auteur aux convictions communistes affirmées décrit des personnages qu’il aime et qui le touchent mais il ne le montre pas assez car le texte ne frappe pas assez fort; il se borne à constater, à décrire la misère d’une catégorie sociale, sans jamais prendre position. Oui, il peut paraître cruel, comme le relève, amer, Karl, de savoir qu’il ne travaille pas moins que ceux qui gagnent quatre fois plus. S’il y avait une proportionnalité parfaite dans l’équation réunissant quantité de travail et quantité d’argent, ça se saurait!…

Meilleurs souvenirs de Grado de Franz Xaver Krœtz, mise en scène de Benoît Lambert
Au TNS depuis le 27 septembre jusqu’au 20 octobre 2007, du 11 au 21 décembre
Au Granit-scène nationale de Belfort, et à Paris, du 17 janvier au 2 février 2008 au Théâtre 71- scène nationale de Malakoff

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