Retours à Trieste, de Silvia Bonucci, est une surprise. Il faut dire que l'attention ne se porte pas naturellement sur cet ouvrage, bien qu'il émane d'un de ceux dont on dira certainement qu'il constituera l'un des dignes représentants de la littérature italienne contemporaine. Et pourtant, une fois en main, une fois cette attention, peut-être un peu longue à venir, fixée sur l'objet, de la surprise, on évolue vers le contentement. Celui d'avoir trouvé un livre plaisant, tout simplement.
L'histoire d'une famille juive de Trieste, au début du XXe siècle, est déroulée, au fil des pages. Cette famille juive n'a rien de normal. Le père, Sandro, est le dernier d'une lignée de banquiers. La mère, Gemma, est un être hors normes. Essentielle, volubile, mondaine, d'une beauté assurément renversante, elle a tout d'une femme. Peut-être un peu moins d'une mère. Atrocement égoïste, mais pourtant non dénuée de sentiments, elle écume les salons de l'époque, virevolte de spectacles en dîners, délaissant ses chers enfants aux bons soins des innombrables gouvernantes et autres percepteurs. Si Dolly, la deuxième, ne semble faire de réelles difficultés, il en va différemment de Marcello, douloureusement tourmenté. Marcello, c'est l'enfant terrible; il devient celui dont on ne sait que faire, celui que l'on amène à ce spécialiste viennois qu'est le docteur Freud, d'une spécialité, à vrai dire, encore naissante. Rien n'y fait, maison de repos et toxicomanie deviennent son quotidien. Quant au dernier, Titi, il est cette bouffée d'air frais, à en devenir le fondement délicat d'un édifice sur le point de s'affaisser.
Et si la famille Levi souhaitait trouver une certaine stabilité, ce n'est certainement pas dans le contexte qui l'entoure qu'elle y réussira. C'est qu'ils sont continuellement en déplacement, de Trieste à Paris, en passant par Le Caire et Milan. Les évènements politiques ne sont pas plus propices à l'établissement d'une certaine harmonie. La guerre monte, contribuant à perpétrer, au gré de confiscations infondées, la déroute financière de la dynastie. Le facisme, terrible, pointe. Et pourtant, toujours, Trieste, apparaît, dans son authenticité, dans toute sa vérité, un peu à la manière d'un eldorado, d'une de ces chimères dont on sait bien qu'elles n'existeront plus.
Retours à Trieste a donc tout d'une fresque. Pour autant, il n'en est rien. C'est autre chose, tout aussi bien. En réalité, l'histoire n'est pas linéaire. Trois personnages, centraux, sont racontés par trois narrateurs, eux-mêmes centraux. Les pensées s'entrecroisent, les récits se confrontent, sans pour autant glisser dans le travers d'une fastidieuse répétition. Et c'est au terme de ces petites histoires, que la grande histoire se construit. Quant au style, s'il n'a rien de flamboyant, il reste agréable, sans excès, et l'exercice amusant. Un regret, toutefois. Trieste. On la perçoit derrière, parfois au travers de descriptions plus précises, on l'imagine. Mais c'est insuffisant. le récit y aurait sans doute gagné à se pénétrer plus profondément de cette atmosphère urbaine si particulière.
Il reste qu'au-delà, voilà un bon roman. Un roman qui suffit à se convaincre de la vigueur des lettres italiennes actuelles. Un roman dont on attend que son auteur livre le prochain.
Silvia BONUCCI, Retours à Trieste, Seuil, 2007, 265 pages, 21 €
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