30 septembre 2007

Une vieille maîtresse



Au panthéon des grands écrivains français, Barbey d'Aurevilly devrait y figurer en meilleure place. De lui, le grand public ne connaît guère ses ouvrages, et pourtant, Une vieille maîtresse, publié pour la première fois en 1851, rappelle que c'est certainement avec empressement qu'il faut découvrir ce grand maître de la littérature du XIXe siècle.

De nouveau, un triangle amoureux. Ryno de Marigny s'est épris, lors de ses jeunes années d'homme du monde, d'une étrange créature, la señora Vellini. C'est au cours d'un dîner chez l'un de ses amis que l'aristocrate parisien s'en entiche. Malagaise, fille naturelle d'un toréador et d'une duchesse espagnole, elle n'est pas belle. Loin s'en faut. Pourtant, elle attire et passionne. Elle envoûte Marigny. Début difficile, d'ailleurs. Le pauvre endurera un duel où il risque bien d'y perdre la vie. Puis, il l'arrache à son baronnet anglais de mari. Et une passion de dix années, à travers l'Europe, s'ensuivit, une passion effrénée, irraisonnée.

Mais aussi vite qu'elle s'est embrasée, elle se consumera. Les amants se détacheront et Marigny, après quelques aventures non sans dommages, fera la connaissance de cette si parfaite Hermangarde, digne représentante d'une noble famille. Il se détache ainsi de l'ensorcelante espagnole et épouse la jeune file, sous l'oeil bienveillant de sa grand-mère, la marquise de Flers, à laquelle il contera, dans veillée extraordinaire, cette longue passion qui le lia naguère. Mais de celle-ci, il est délicat de s'en défaire. Et jusqu'en Normandie, là où les deux époux s'installèrent, la señora Vellini, suivra son ancien amant, remémorant à son souvenir la brûlante liaison qui les unissait. La tendre naïveté d'Hermangarde sera rapidement mise à rude épreuve, et le bonheur que semblait connaître Marigny se délitera doucement, les doutes l'assaillant.

C'est assurément là du romantisme, dans la plus pure veine de cette seconde moitié du XIXe siècle. Un romantisme mâtiné d'une fougue formidable, exceptionnellement restituée par Barbey d'Aurevilly. La passion de l'amant et de sa vieille maîtresse est palpable, et la tristesse de la jeune épouse, si perceptible. Le cadre, cette Normandie rugueuse et de caractère, jouit d'admirables descriptions toutes balzaciennes. Au-delà, l'histoire est servie par une langue d'une délicatesse rarement égalée, où le dictionnaire est, à n'en pas douter, l'indispensable compagnon d'une telle lecture. Une vieille maîtresse est sans nul doute un grand moment de littérature, un de ces classiques un peu oubliés, mais qu'il faut pourtant revisiter. Mais, plus encore, c'est un véritable cours de littérature, à mettre entre toutes les mains, tant la qualité du français est remarquable.

A cette époque où tant de talents ont éclos, Barbey d'Aurevilly était assurément un écrivain de génie. Sa notoriété n'est pas à la hauteur de son talent. Pour cette raison, et tant d'autres, il faut le dire.


Jules BARBEY d'AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Gallimard, coll. "Folio Classique", réed. 2007, 493 pages, 7,32 €

Les Belles Endormies


Yasunari Kawabata est très peu connu en France. Et pourtant, l’œuvre de cet auteur, premier japonais à être récompensé du prix Nobel en 1968, cache de vrais petits bijoux. Les Belles Endormies en est un. Un livre presque secret, qu’on déguste avec le plaisir d’un explorateur qui découvre une terre inconnue. On ne le connaît pas, on n’attend rien – et on est agréablement surpris.

Eguchi est un homme de 65 ans. Un vieil homme ? Il sait qu’il s’approche dangereusement d’un âge où les passions s’émoussent, mais il n’ose pas se l’avouer. Quand il entend parler de la mystérieuse maison des Belles Endormies, sa curiosité le pousse à la visiter malgré son aversion pour les vieillards impotents qui composent d’ordinaire sa clientèle. Cette auberge, perdue dans la campagne japonaise, offre aux vieillards en quête de sensations la possibilité de passer la nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’emprise de puissants narcotiques. Une maison du plaisir ? Pas vraiment, si ce n’est que le plaisir de dormir à côté d’une jeune femme. Mais il paraît que dormir à côté d’une belle endormie, cela donne des rêves d’une beauté puissante. Pour sa part, Eguchi sent qu’il a encore en lui de quoi « se comporter en homme ». Mais quelque chose de très puissant l’attire vers cette maison. Convaincu qu’il ne ressemble en rien à ces « clients de tout repos » qui ont besoin de payer même pour dormir à côté d’une belle femme, il décide cependant, presque malgré lui, de tenter l’expérience.

Dans cette maison secrète, il est introduit dans la chambre où une belle adolescente est plongée dans un sommeil profond. Fasciné par cette expérience, il revient encore et encore, chaque fois pour s’endormir à côté d’une fille différente, et chaque fois il y entre comme s’il entrait dans un monde magique où le temps s’arrête. Dans la chambre semi-obscure, la tendresse qu’il éprouve pour les belles endormies réveille en lui le souvenir des femmes qu’il a aimées. Emu par leur beauté résignée et par leur destin si curieux, il passe en revue sa vie à travers les femmes qui y ont laissé leur empreinte : sa mère, ses maîtresses, sa femme, sa fille.

Les Belles Endormies est un livre qui déborde de tendresse et de beauté – non, ceci n’est pas exact. Il ne déborde pas, parce que rien n’est de trop, tout est justement dosé, il n’y a rien de superflu. Kawabata met en scène l’éternel conflit entre jeunesse et vieillesse, homme et femme, rêve et réalité, résignation et force. Sauf que, sous sa plume, cela n’est plus un conflit mais la fusion de deux éléments complémentaires qui se fondent l’un dans l’autre, comme le yin et la yang. Délicate et sensible, la plume de Kawabata fait de l’histoire du vieux Eguchi et de ses Belles Endormies un livre discrètement sensuel et doucement émouvant.

Yasunari KAWABATA, Les belles endormies, Le livre de Poche, 1982, 124 pages, 3,33 €

25 septembre 2007

L'oeuvre


Plus qu'un roman, L'Oeuvre relate l'histoire d'une époque.

1874. Le peintre Claude Lantier se prépare pour le Salon des Refusés. Cette exposition paralèlle au salon officiel avait été organisée par Napoléon III, en réponse à l'injustice du jury quant à la sélection des oeuvres, elle-même fortement dénoncée par les artistes et les critiques. Le hasard place la jeune Christine sur le chemin de Claude. Prude et timide, fraîchement émoulue de sa province natale, sa fascination pour l'artiste la convainc à poser pour son grand projet, un nu féminin, dans une toile rappelant le scandaleux Déjeuner sur l'herbe de Manet, présenté à ce même salon. Claude pensait enfin y trouver la reconnaissance qui lui était due, mais encore une fois, il ne reçoit que rires et moqueries.

Toujours obsédé par la peinture, malgré la vie de misère qu'elle lui impose, Claude séduit Christine. Sur un coup de tête, les deux amants se décident à vivre une vie de bohème à la campagne, qui éloigne pour un temps le peintre de la vie parisienne et de son cercle d'amis artistes. Mais l'appel de l'art est trop fort pour Claude qui persuade Christine de rentrer à la capitale. Commence alors une bataille sans merci entre la femme et "l'autre", l'art.

A travers Claude Lantier, dont les traits ne manquent pas de rappeler l'ami de toujours de Zola, Cézanne, l'écrivain relate une réalité pour des artistes que l'on considère aujourd'hui comme des génies. Une vie de misère, de pauvreté, d'incompréhension, et de refus. Il en fut ainsi de Cézanne qui s'opposa fréquemment au Salon. La fin du XIXe siècle marque un tournant dans l'évolution de l'art, une époque qui hésite encore entre tradition académique et modernité. Zola s'est lui-même dépeint dans le personnage de Sandoz, le meilleur ami de Claude, l'écrivain réaliste, auquel il réserve toutefois un destin plus clément que celui du peintre.

L'Oeuvre, c'est aussi l'histoire d'un triangle amoureux impossible, entre une femme aimante, passionnée et dévouée à celui qu'elle aime, et cette peinture, qui obsède Claude, jour et nuit. A travers cette fresque essentielle, Zola pose ainsi la question récurrente de la nécessité d'une dévotion exclusive à l'art, un peu à la manière de ce peintre orientaliste Coriolis, celui du roman Manette Salomon des frères Goncourt, qui affirme clairement que l'artiste doit faire un choix, que toute son attention ne peut et ne doit se porter que sur l'art s'il entend réussir. L'amour et les femmes ne font ainsi que perturber l'attention et l'énergie toute entière qui doivent être rendues à l'art.

Q'en sera-t-il pour Claude? L'Oeuvre y répond. A quel prix? Celui de l'amitié entre Cézanne et Zola. Mais c'est une autre histoire.


Emile ZOLA, L'Oeuvre, Gallimard, coll. "Folio Classique, rééd. 2006, 492 pages, 4,28 €

24 septembre 2007

Anybody out there

Alors que je me promène dans les rayons d’une grande librairie, je découvre le « dernier Marian Keyes ». Aucune hésitation, je le prends avec moi. Depuis que je l’ai découverte en 1999, Marian Keyes ne m’a jamais déçue.
Et pourtant, je dois avouer que j’ai mis beaucoup de temps à finir Anybody out there. La quatrième de couverture faisait pourtant les éloges habituels des romans de Marian Keyes ; on lit même une phrase presque anodine : « le meilleur roman de Keyes ». Tout un programme.

Le dernier roman de celle que l’on a surnommé la reine de la chick lit irlandaise nous propose de vivre un peu plus d’un an aux côtés d’Anna Walsh. Après Claire (Watermelon), Rachel (Rachel’s holiday), et Margaret (Angels), le temps est venu d’en apprendre plus sur la quatrième sœur Walsh.
Anna est la rêveuse de la famille, celle qui a le moins le sens des réalités. Installée à New York, elle mène une vie épanouie. Jusqu’au jour où survient l’insoupçonnable. Déni, désarroi, dépression puis rédemption. Le cocktail est fort mais bien dosé : Marian Keyes distille, avec style, des petites doses d’humour, de cynisme et de poésie.
Tous les ingrédients habituels.

D’où vient alors cette absence de véritable satisfaction en reposant le livre ? Le mystère du prologue est longtemps mis de côté. Trop longtemps pour ne pas être éventé au moment de le résoudre à la fin de l’histoire. Mais il faut dire qu’il ne s’agit nullement d’un roman policier.
Est-ce vraiment le meilleur roman dont il était question sur la couverture ? Pour certaines, peut-être. Mais pas pour moi. C’est certainement un sentiment très personnel : je n’ai pas pu m’attacher à Anna comme cela avait été le cas pour Katherine (Last Chance Saloon), Lucy (Lucy Sullivan is getting married) ou Claire (Watermelon).

C’est un bon roman pour fille, mais sans doute pas le meilleur. On rit un peu, on verse une petite larme. Mais ce n’est rien de bouleversant. Rien d’incontournable.
En attendant le prochain …


Anybody out there, Marian Keyes
Penguin, 2007, 593 pages, 8 euros
Les romans de Marian Keyes sont disponibles en français chez Belfond ou Pocket.

23 septembre 2007

Noces au Paradis

Au cours d’une nuit passée dans un refuge de chasse, deux hommes, Mavrodin et Hasnas, vont revivre par leurs confidences respectives, la relation amoureuse qui les a bouleversée à jamais, et réaliser que la même femme a traversé leur vie pour le meilleur et pour le pire.

Mavrodin est un écrivain reconnu, âgé d‘une trentaine d‘années et fréquentant l‘intelligentsia bucarestoise. Tout lui sourit, ses livres se vendent bien et font autorité, mais pourtant on le sent désabusé, plus rien ne le surprend. Il va même jusqu’à imaginer les réactions que peuvent susciter ses œuvres, et le prestige qu'il peut en retirer. Il est conscient du magnétisme qu'il exerce sur les autres de par cette activité et en joue, au cours des soirées mondaines auxquelles il est convié. C’est d’ailleurs au cours d’une réception qu'il rencontre Ileana, une femme d’une beauté rare, intelligente, mystérieuse et froide, et c’est peut être justement cette indifférence qui interpelle Mavrodin, lassé de savoir qu'il peut obtenir ce qu'il désire, comme l’enfant gâté qu'il est.
La magie opère instantanément. Des sentiments réciproques semblent très vite les unir; l’emballement dont fait preuve Mavrodin est à ce titre très touchant car il est animé du même enthousiasme qu'à l'âge des premiers émois, au point de susciter par moment l’écoeurement, par un excès de mièvrerie parfois irritant.
Pourtant il s’égare; ce qu'il croyait acquis va le fuir. Il ne réalisera que trop tard que bien avant qu'Ileana s'en aille, le lien qui les unissait était déjà fragile; mais tourné vers lui-même, il lui était impossible d‘en prendre conscience.

Hasnas connaîtra un destin similaire et tout aussi sévère; il se croyait «propriétaire d’une belle épouse », comme il se plaira à le dire, ce qu'elle ne tardera pas à contredire au premier faux pas de son riche époux, trop fier pour reconnaître à temps sa part de responsabilité dans leur chute.
Cette femme, Ileana pour l’un et Lena pour l’autre, n’est autre que la symbolique de l’être parfait, du « miracle » que l’on n’attendait plus et qui a permis ces noces éphémères au paradis, mais que l’on a laissé s’échapper par manque de lucidité, par naïveté, et surtout par égocentrisme qui finit, si l’on n’y prend pas garde, par ronger de manière insidieuse une relation passionnée, ne laissant place qu'aux regrets que se livrent Mavrodin et Hasnas. Les miracles n’ont-ils pas cela en commun d’être identifiés bien après leur manifestation?

Au-delà de cette métaphore à caractère divin, chère à l’historien des religions qu'est avant tout Mircea Eliade, on peine parfois à adhérer au récit, raconté par deux hommes arrogants, unis par la même femme, laquelle est décrite comme entière et ne pardonnant nuls errements. L’absence de point de vue féminin permet difficilement de prendre la mesure des décisions irrémédiables d'Ileana, qui pourraient être considérées comme hâtives, voire capricieuses, égratignant par là même l’image de la femme. Ce roman n’en reste pas moins une œuvre que l’on prend plaisir à savourer jusqu’à la dernière page, de par une plume d’une très grande poésie.

Mircea Eliade, Noces au Paradis, Editions Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1981, 265 pages

Un barrage contre le Pacifique


C'est le roman de la déveine. Pas plus, pas moins. Le roman d'une malchance qui s'est installée progressivement, délicatement mais durablement. De ce livre qui fit connaître Marguerite Duras, de cet ouvrage qui marqua les débuts de l'oeuvre de ce monstre sacré de la littérature française, c'est sûrement cela qui vient à l'esprit, une fois refermé.

C'est l'histoire d'un trio. La mère, dont on ne saura jamais le nom, et ses deux enfants, Joseph et Suzanne. Tous pétris qu'ils étaient des images d'Epinal qui circulaient à propos des colonies, la mère, une institutrice, et son mari décidèrent de tenter l'aventure indochinoise. Quelques années de bonheur leur furent accordées, puis le mari vint à décéder, laissant ainsi son épouse, avec leurs deux enfants, sur les bras. A compter de là, tout se délitera. La mère décida de s'engager comme pianiste dans un obscur cinéma, accumulant les heures, avec un unique objectif, un seul. Acheter une petite concession au bord du Pacifique. Elle y parvint, mais faute d'avoir pu soudoyer l'administration, elle obtint une terre incultivable, en raison des assauts incessants de l'océan. Vint alors une idée, celle de l'édification d'un barrage, un barrage contre le Pacifique, pour en retenir les marées. Elle y mit tout le reste de ses économies, hypothéqua tout. Rien n'y fit, la malchance perdura, et le barrage, à peine dressé, céda.

Force est de constater que toute l'histoire de la mère suit ce cours, celui d'une déroute continuelle. Tout le temps, elle échoue, emmenant avec elle ses enfants. Vaine course pour "liquider" un diamant étrangement atterri entre leurs mains, lettres récurrentes à l'administration. Et l'idée du barrage persiste. Du trio, Joseph cherche par tous les moyens à s'en échapper. Suzanne, également. Et à dire vrai, la mère attend également le départ de ses enfants, afin de pouvoir, une fois pour toute se laisser aller. Suzanne attend. Un chasseur, préférerait-elle. Et patiemment, dans une espèce de nonchalance fascinante, elle éconduit les rares prétendants qui s'offrent à elle.
C'est là un roman exceptionnel, puissant. Sûrement l'un des essentiels de la littérature françaises, mais dont on ne parle pas assez. Superbement triste, d'une mélancolie un peu hallucinée, il se lit avec frénésie, une frénésie qui pourtant tranche avec cette espèce de torpeur moite bien caractéristique de l'Indochine. La mère, Suzanne, Joseph, le tout au ralenti. Pourtant, on tourne les pages, rapidement, sans pouvoir s'arrêter. On reste subjugué par la force des personnages, comme noué par ce splendide spleen qui irrigue l'ensemble de l'ouvrage, et qui vous prend du début à la fin. Et l'Indochine, le Pacifique, derrière tout cela. Magnifique. Pour toutes ces raisons, et bien d'autres encore, un barrage contre le Pacifique compte dans l'oeuvre de Marguerite Duras. A le lire, on comprend pourquoi. On n'en sort pas indemne.


Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, Gallimard, coll. "Folio", 1950 (rééd. 1978, 2007), 365 pages, 6,27 €

21 septembre 2007

Et Nietzsche a pleuré



Il aura fallu du temps pour que la France découvre Irvin Yalom. Avec la traduction toute récente d'un de ses ouvrages publiés en 1992, Et Nietzsche a pleuré, c'est désormais chose faite, et il n'est donc plus d'excuse pour ne pas s'intéresser aux romans du psychiatre californien. Ce dernier livre ainsi mis à la portée du lecteur français encore rétif, on le sait bien, à la lecture en version originale, permet de se convaincre du talent de l'écrivain.

L'idée est intéressante, il s'agit d'imaginer une éventuelle rencontre entre Joseph Breuer et Friedrich Nietzsche. Quand ? En 1882. Où ? A Vienne. Le premier est un médecin viennois, excellent diagnosticien. Mais c'est aussi l'un des pères de la psychanalyse moderne, le premier médecin d'Anna O, hystérique, elle-même bien connue pour avoir été ensuite soignée par Freud, ami de la famille Breuer. Le second, naturellement, nul n'est besoin de le présenter.

Et c'est par la séduisante Lou Salomé, amour éphémère du philosophe, que les deux hommes furent amenés à se rencontrer. Celle-ci, au détour d'un café pris à Venise, réussit à convaincre Breuer de s'occuper du cas de son ancien amant. Celui-ci, éconduit, se porterait au plus mal. C'est donc d'un "médecin du désespoir" - l'expression est jolie - qu'il aurait besoin. Une cure par la parole.

Le stratagème se met en place, Nietzsche ne doit pas être au courant. Rancuneux à l'endroit de la jeune Lou, il ne serait certainement pas enthousiaste à l'idée de consulter un médecin de cette sorte. Ses amis réussissent toutefois à le persuader de se rendre à Vienne pour consulter le Docteur Breuer, afin de frotter le cas de ses atroces migraines à l'excellent diagnostic de ce dernier. Et c'est là, progressivement, que se scelle le pacte entre les deux hommes. Nietzsche, non sans réticence, accepte de rester. Toutefois, c'est à un véritable échange que les deux hommes devront se livrer. Nietzsche s'occupe de Breuer, un Breuer supposé simuler. Breuer s'occupe de Nietzsche. Analyse - bien que le concept soit encore anachronique - réciproque.

L'allemand se prend au jeu, et la conversation entre les deux sommités est brillante. D'un semblant de patient, Breuer en devient un véritable, guérissant ainsi ses obsessions, tout pénétré qu'il est des préceptes philosophiques de Nietzsche. "Deviens qui tu es" résonne, les deux hommes se livrent. Yalom parvient à récréer les conditions de cette formidable émulation intellectuelle. Au surplus, et au détour d'une écriture agréable, ce roman est une invite à redécouvrir l'oeuvre du philosophe dont l'écrivain réussit le tour de force d'en mettre les éléments cardinaux à la portée du lecteur. Breuer versus Nietzsche, Nietzsche versus Breuer, des balbutiements de la psychothérapie à l'initiation philosophique, c'est assurément là un roman complet que livre Yalom.


Irvin Yalom, Et Nietzsche a pleuré, Galaade Editions, 2007, 416 pages, 24 €

20 septembre 2007

Exposition Arcimboldo, 1526-1593


L'exposition Arcimboldo, que le Musée du Luxembourg a choisi de présenter en entrée de saison, est surprenante. Surprenante, parce qu'Arcimboldo l'est lui même. Et à dire vrai, tout le monde se souvient de ces portraits monstrueux, ces compositions étranges qui ne manquent pas d'attirer l'oeil et qui vont émailler le parcours du visiteur. Difficile toutefois d'y mettre un nom. C'est ce que précisément se propose de faire cette exposition érudite, soigneusement orchestrée. Sans doute la première, réellement monographique, depuis celle organisée par le Palazzo Grassi de Venise en 1987. Ainsi, pas moins de 40 huiles sur toile de cet artiste si longtemps oublié, ont été réunies.

Ce que rappelle d'abord la rétrospective, c'est qu'Arcimboldo est un Ancien. Plus exactement, c'est un homme du XVIe siècle. En déambulant dans les quatre salles dévolues à l'exposition, ce constat révèle toute son acuité. Moderne, original, iconoclaste, Arcimboldo l'était assurément.

L'exposition nous rappelle d'abord qu'il était un artiste de cour. Plutôt bien en vue d'ailleurs puisqu'il fut, par la suite, élevé au rang de comte palatin. Attaché au service de deux empereurs, Maximilien II, puis son fils, Rodolphe II, Arcimboldo réalisa une série de portraits conventionnels lors de son séjour à Vienne.

Vient ensuite ce grain de folie, qui restera indissolublement lié au personnage du peintre milanais, ces têtes composées. Affreuses, atroces, monstrueuses, elles ne laissent pas indifférent. Ces dernières, qui consistent à dresser un portrait au travers de la représentation d'objets eux-mêmes aisément identifiables, et suivant une thématique définie, sont particulièrement bien mises en valeur. Les prêts d'oeuvres ont été considérables. Les différentes versions de l'Eté, l'Hiver, l'Automne, le Printemps ou encore les Quatre saisons en une tête, tout semble y être. Y figurent également, les éléments.

Folie, modernité, l'exposition ne s'arrête pas là. Les commissaires, grand bien leur a pris d'ailleurs, tant le procédé paraît amusant, ont également choisi de mettre en valeur ces fameuses têtes réversibles. Il faut bien avouer qu'elles valent le coup d'oeil. Une glace située juste en deçà permet de se rendre compte qu'en réalité, retournés, ces tableaux représentent une tête d'homme. Enfin, il ne faut pas manquer les portraits anthropomorphes, où Arcimboldo intégrait des instruments spécifiques à la profession de ceux qu'il peignait.

Alors, évidemment, l'esthétique d'Arcimboldo ne correspond certes pas à celle qui est la nôtre aujourd'hui. Ces têtes composées, elles sont étranges, bien sûr. Elles accrochent, naturellement. Mais surtout, et on ne le répètera jamais assez, elles surprennent, en ce qu'elles sont l'exact reflet de cette modernité si inhérente à Arcimboldo. Il était du XVIe siècle, n'oublions pas. Ce tour de force, pour l'époque, cette impression de folie, toutefois maîtrisée, l'exposition du Musée du Luxembourg y rend un sérieux hommage. Sans nul doute, elle mérite le détour.


Arcimboldo, 1526-1593

Du 15 septembre 2007 au 13 janvier 2008
Musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard - 75006 PARIS

Mardi, Mercredi, Jeudi : 10h30 - 19h00
Lundi, Vendredi, Samedi: 10h30 - 22h00
Dimanche : 9h00 - 19h00
Plein tarif: 11 €

18 septembre 2007

Le rapport de Brodeck

Le dernier ouvrage de Philippe Claudel, régulièrement encensé par la critique, figure sur la liste des quinze romans publiés tout récemment par l'Académie Goncourt. Il est donc susceptible d'obtenir cette précieuse récompense, si convoitée, qu'est le prix éponyme. Ce n'est toutefois certainement pas la raison qui pousse à découvrir, puis à lire le rapport de Brodeck. Non, bien au contraire.

Il s'agit plutôt ici de l'histoire. Elle attire l'oeil. Pourquoi ? Parce qu'en cette rentrée littéraire, il ne s'agit pas d'un énième roman sur la guerre. De guerre, bien sûr, il en est question. Mais il s'agit du temps de l'après, de cette période trouble, si propice aux bassesses et errements de l'âme humaine. La guerre, elle est en filigrane, derrière, dans toute son horreur. Elle plane.

Le décor est celui d'un petit village d'Alsace-Lorraine, frontalier, perdu au milieu de nulle part, perdu au milieu de vallées encaissées. Brumeux, calme, le village semble vivre au gré d'une léthargie pesante. Philippe Claudel distille savamment les conditions d'une atmosphère sordide, alimentée par la petitesse des personnages dont l'auteur brosse brillamment le portrait. Toute une ambiance, si finement tissée autour d'une épaisse gangue de délicates descriptions.

Et ici, le temps de la paix est revenu. Le problème, c'est que depuis, il s'est passé l' "Ereigniës", cet évènement cruel et terrible, auquel tous les hommes du village semblent avoir participé. Mais il faut dire que l'arrivée de l' "Anderer", si particulier, si insolent dans sa différence, les a surpris. De cette occurence atroce, Brodeck sera chargé d'en relater les conditions, d'en faire le rapport. A dire vrai, il n'aura guère le choix. Après tout, il a fait des études, dispose d'une machine à écrire, et son travail n'est-il pas précisément de dresser des rapports, ennuyeux, envoyés ensuite à l'administation? Brodeck va donc s'atteler à cette tâche ingrate. Il s'y soumet avec zèle, sous l'oeil soupçonneux des hommes du village, ceux là même qui sont à l'origine de l'évènement. Mais bien sûr les choses ne s'arrêtent pas là et derrière le rapport de Brodeck, il y a l'histoire de Brodeck. C'est que ce dernier a fort à dire. Beaucoup à raconter. Rescapé des camps, plutôt miraculé, il nous conte son calvaire et la difficile réadaptation qui s'ensuivit.

Le livre de Philippe Claudel est bon, c'est indéniable. D'une manière générale, au détour d'une histoire simple, le rapport de Brodeck nous renvoie à la médiocrité. Il reflète assurément le difficile rapport à l'altérité qui prévaut chez certains. Loin de toutes prétentions, il se laisse aisément lire, à travers un style bien agréable, nourri de fines réflexions et d'une langue élégante. Force est de constater d'ailleurs que l'effort va bien au-delà. Certaines des descriptions sont puissantes, excellentes. Elles retournent, prennent à la gorge. Le livre se vit, on perçoit si facilement cette atmosphère délétère que reproduit l'auteur. Progressivement, on sent sourdre l'évènement. Il devient impossible d'arrêter la lecture. Intense le roman se construit pas à pas. C'est incontestablement là un bel ouvrage.

Philippe CLAUDEL, Le rapport de Brodeck, Stock, 2007, 401 pages, 21,50 €

17 septembre 2007

Le Temps de l'innocence


La haute société new-yorkaise à la fin du 19ème siècle : un tissu délicat de convenances et de préjugés. Newland Archer est un jeune homme de son époque. Fils d’une des meilleures familles de la nouvelle aristocratie américaine, nourri des traditions et des préjugés qui brodent petit à petit autour de lui une toile invisible qui l’empêche de voir plus loin que son petit monde bien rangé, il n’a jamais remis en question la structure sociale qui l’entoure. Entre théâtre, opéra et dîners mondains, il s’apprête à épouser la belle ingénue May Welland. Bien élevée, de bonne famille, douce et innocente, la jolie May sera la compagne idéale : discrète, gentille, disciplinée.

Newland Archer est content. Tout semble être en parfait ordre, quand la comtesse Olenska, cousine de sa fiancée, revient d’Europe. Belle, séduisante, mystérieuse, elle n’a aucun intérêt pour les conventions subtiles qui régissent la société new-yorkaise. Madame Olenska est différente : elle mène son propre combat pour la liberté. Mariée en Europe (quelle folie, déjà ! épouser un européen ?) au comte Olenski, un libertin qui l’a maltraitée et humiliée, elle décide de fuir pour se réfugier dans sa New-York natale. Mais ses troubles sont loin d’être finis. A New-York elle doit mener une lutte féroce pour préserver cette liberté qu’elle a acquise avec tant d’effort, une lutte contre sa propre famille et contre une société impitoyable qui ne tolère pas le moindre écart de l’ordre établi.

Quand Newland rencontre Ellen Olenska, il est gêné par son caractère, son esprit libre, son désir d’indépendance, son indifférence pour les conventions. Mais cette femme passionnée l’attire par la force, la beauté et la liberté de son esprit, qui ne rappelle en rien les jeunes femmes de son rang, dont l’innocence est préservée « par une conspiration silencieuse de mères et de tantes », chargées de les protéger de tout ce qui est « désagréable » dans la vie. La comtesse Olenska, elle, est une femme qui a vécu, qui a souffert et qui ne s’est pas laissée faire. Une femme libre. Petit à petit, un lien passionnel très fort se forme entre les deux et presque malgré eux. Mais la société, incarnée par May Welland et tout ce qu’elle représente, est implacable. Partagé entre devoir et passion, Newland Archer remet pour la première fois en question la structure étouffante d’une société affreusement conventionnelle. Va-t-il capituler face à encore une conspiration silencieuse qui regroupe toute la famille, toute la société, derrière la douce May ? Ou bien trouvera-t-il le courage de se battre pour l’amour et la liberté contre les préjugés d’une société qui ne le pardonnera pas?

Beaucoup plus qu’une histoire d’amour, le temps de l’innocence est une esquisse fascinante de la société américaine de la fin du 19ème siècle. Le titre, fortement ironique, fait allusion à une société dont l’innocence est soigneusement préservée par un voile délicat mais indéchirable de mensonges bienveillants. Une société qui peut, en réalité, pardonner tout à ses enfants sauf le « désagréable ». Ce qui se passe sous la surface importe peu – ce qui importe, c’est que les apparences soient préservées. Toute « situation » doit être résolue discrètement, silencieusement, afin d’éviter toute « scène » : le comble de la vulgarité pour les esprits délicats de la haute société new-yorkaise.

Le temps de l’innocence est un livre passionnant. Sous prétexte d’une belle histoire d’amour comme on les aime, Edith Wharton nous livre en réalité une étude sociale très élaborée. C’est la critique impitoyable d’une société d’hypocrisie, de puritanisme, de passions cachées et de vies gâchées. Une société qui veut, avant tout et à tout prix, préserver non pas son innocence, déjà perdue depuis longtemps, mais son apparence d’innocence – parce que c’est ça qui importe, n’est-ce pas ?

Edith Wharton, Le temps de l'innocence, Flammarion, 1993, 312 pages, 6,46 €

Exposition Weegee au Musée Maillol

Une plage horaire de libre dans la capitale ? Un petit détour par le Musée Maillol s’impose!

A la portée de l’amateur comme du néophyte, l’exposition temporaire consacrée à l’œuvre du célèbre photoreporter Usher Arthur Fellig, dit Weegee, fait revivre le New York des années 1930-1940. Quelques 228 clichés en noir et blanc rassemblés par le collectionneur Hendrick Berinson sont livrés à la curiosité du public. De cette rétrospective de qualité, le visiteur ressort transporté et fasciné. Transporté dans l’univers sombre et impitoyable d’un New York bouillonnant et fasciné par le regard à la fois cru et sensible de l’artiste.

La vie nocturne est son terrain de prédilection. Chasseur de crimes, d’incidents et de drames en tous genres, Weegee alimente en photographies les principaux quotidiens new-yorkais. Ses relations privilégiées avec la police lui confèrent un avantage certain sur ses concurrents : branché en direct sur la radio du commissariat central, il arrive le premier sur les lieux. Ce luxe associé à l’instinct insolent du photographe le place en maître incontesté du fait divers.

Mais ce n’est pas tant cette thématique qui captive l’observateur de ses clichés. S’il sait immortaliser les scènes encore chaudes, c’est surtout son talent pour capturer les chocs émotionnels qui force l’admiration. Pour autant, tout n’est pas que douleur, peine et désarroi. Bien au contraire, quel que soit le tragique de la situation, Weegee parvient souvent, fort de sa capacité à détourner vers lui l’attention, à cueillir un sourire sur ses sujets. Il en résulte un contraste saisissant entre réalité brutale de la scène et complicité émouvante entre ses spectateurs et l’artiste.

La traque du fait divers n’est d’ailleurs pas son unique préoccupation. Nombreux sont les thèmes affectionnés par le photographe. Ayant un penchant pour les nécessiteux et les victimes d’injustices, Weegee shoote sans inhibition, égratignant sans retenue l’image chimérique du rêve américain. Dénonçant l’enfance miséreuse, les discriminations raciales, les inégalités sociales et la vanité des plus riches, il se fait le témoin d’une Amérique en crise.

Avec de telles réjouissances au programme, pourrait-on penser que l’on ressort déprimé de cette exposition. Or, que nenni ! C’est l’effet inverse qui se produit. Sans doute grâce à quelques ingrédients supplémentaires subtilement disséminés dans son œuvre par l’auteur lui-même : l’humour, l’ironie, la malice.
On ne saurait par trop conseiller au lecteur de ce billet de courir au Musée Maillol et de se laisser surprendre.


Exposition Weegee, jusqu’au 15 octobre 2007.
Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris.
Tous les jours 11h-18h sauf les mardis et jours fériés.
Tarifs: 8€ / 6€
source photographique: © Weegee/International Center of Photography/Getty Images

15 septembre 2007

Victor ou les enfants au pouvoir


Au théâtre Antoine, ors et fauteuils rouges, foyer XIXe romantique, se joue Victor ou les enfants au pouvoir, cette pièce de Roger Vitrac, surréaliste de la première heure, si froidement reçue par la critique lorsqu'elle fut présentée en 1928. Ce n'est d'ailleurs qu'avec la mise en scène qu'en effectua Jean Anouilh, en 1962, au théâtre de l'Ambigu, que ce texte particulier connut une certaine célébrité. Et aujourd'hui, c'est au tour d'Alain Sachs de s'attaquer au précurseur du théatre de l'absurde, à ce prédécesseur de Ionesco. Le rôle titre, celui de Victor, est assuré par Lorant Deutsch.

Qu'en est-il du résultat? L'histoire est somme toute assez banale, tant on sait que Vitrac était fasciné par l'univers de l'enfance. C'est l'anniversaire de Victor que l'on fête. Il a neuf ans. Etrangement d'ailleurs, celui-ci n'a parmi ses invités qu'une seule compagne de son âge. Les autres, ce sont des adultes. Son père, sa mère, bien évidemment. Puis les parents de cette jeune camarade, dont la mère entretient des rapports plus que privilégiés avec le père de Victor, et dont le mari est un peu fou. Enfin, au nombre des convives, figure également un autre ami de la famille, un général. C'est donc, Victor au milieu d'un monde d'adultes, un enfant parmi les grandes personnes. Or, c'est bien tout le contraire. C'est plus sûrement un monde d'adultes autour de Victor. Victor est le centre, l'objet de toutes les attentions. Il domine. Et là où le bât blesse, c'est que Victor n'est précisément pas un enfant des plus aimables, ni des plus affables. Excessif, autoritaire, arrogant, cynique, bigrement intelligent, il flirte avec une certaine méchanceté, une méchanceté bien loin d'être enfantine.

La soirée, bien naturellement, dans ce vaudeville qui vire au tragique, ne sera pas de tout repos. Victor poussera à bout les uns, puis les autres. Tout s'emballe, tout explose. Et c'est un texte étrange que celui de Vitrac. Aux réparties absurdes, vides, s'entremêlent les saillies les plus acerbes, si pleines de sens. Un vrai festival de mots.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le résultat, quant à la mise en scène, n'emporte pas la conviction. Les acteurs s'agitent, s'énervent, bien de trop. Le jeu est bon, certes, mais exténuant. On a peine à y entrer. Lorant Deutsch n'y est pas étonnant, bien loin de là, et force est de constater que le seul qui semble réellement s'en sortir est le mari trompé. Peut-être, au crédit des acteurs, est-ce la pièce de Vitrac qui veut cela. Sans doute est-elle difficile à jouer et il est indéniable que l'effort est fourni. Il reste qu'il n'y a rien là d'exceptionnel, et les longueurs ne sont pas évitées. Surtout d'ailleurs après l'entracte.

Mitigé. C'est dans cet état d'esprit que l'on ressort de cette pièce. Le texte est beau, la langue est jolie. Il reste que comme toujours, pour le théâtre de l'absurde, il est difficile d'accès. La mise en scène était donc confrontée à un défi d'envergure. A t'il été relevé? Rien n'est moins sûr.


Victor ou les enfants au pouvoir, Mise en scène d'Alain Sachs (Avec Lorant Deutsch, Christiane Millet, Philippe Uchan), du 6 septembre au 28 octobre 2007, Théâtre Antoine - Simone Berriau (14, boulevard de Strasbourg - 75010 PARIS)

14 septembre 2007

L'oeuvre de Dieu, la part du diable


C'est certainement une impression de puissance qui se dégage de ce magistral roman de John Irving. Puissance. Puissance des mots, puissance des personnages, puissance des situations. De la première à la dernière page, loin d'ailleurs, l'on est happé par l'ensemble, habité, comme noyé dans ce festival joyeux, mais pourtant tellement triste.

L'oeuvre de Dieu, la part du diable, c'est d'abord le roman de Saint Cloud's. Dans cet orphelinat du Maine - le contraire eut été étonnant -, son directeur, le docteur Wilbur Larch, aficionado de la drogue à l'éther, officie étrangement, du moins pour l'époque. L'oeuvre de Dieu, d'abord. Wilbur procède bien naturellement à des accouchements, pour toutes ces femmes que la vie n'a guère gâtées, et que les circonstances ont contraint à abandonner leurs enfants. La part du diable, ensuite. Parce que Wilbur Larch se livre également au versant de l'acte précédent. Dans un monde où l'avortement n'est pas légalisé, il en pratique cependant. Sans demander, naturellement, la moindre rémunération, si ce n'est, le cas échéant, une donation pour l'orphelinat. Larch fournit toute l'aide qu'il peut à ces femmes désespérées, et y procède dans des conditions bien meilleures qu'au sein de la floraison de centres clandestins de l'époque et dont la fréquentation pouvait conduire à des suites parfois dramatiques. D'ailleurs, pour Wilbur, c'est un peu tout ça, l'oeuvre de Dieu. Et étant donné qu'il en fallait bien une, éveillé, non éveillé, c'est là la ligne de partage du Docteur Larch.

Vint Homer Wells, un orphelin. Larch se prend d'affection pour lui, une affection toute paternelle. Il le forme, lui enseigne les rudiments de la médecine, à pratiquer des avortements et accouchements, le prédestinant ainsi à prendre, le jour venu, sa relève. Mais le chemin d'Homer prendra un tour différent, à la rencontre de Wally et de Candy, contrecarrant quelque peu les plans du directeur de l'orphelinat.

L'oeuvre de Dieu, la part du diable, c'est donc cela. Wilbur Larch et Homer Wells. Mais aussi Melony, Curly Day ou Fuzzy Stone, Nurse Edna et d'autres. Toute une galerie de personnages atypiques et marginaux, si généreux, les uns aux destins tragique, les autres au destin plus heureux. Avec en toile de fond, toujours, l'orphelinat de Saint Cloud's, l'aboutissement de tout, le point focal des éternels questionnements.

Le roman de John Irving est une fresque essentielle, majeure, "dickinsonnienne" a-t'on dit, de la littérature américaine contemporaine. Roman engagé, roman passionné, tellement actuel tant la controverse sur l'avortement est vive aux Etats-Unis, l'oeuvre de Dieu, la part du diable constitue l'une de ces pépites que l'on relit avec plaisir, toujours. Roman du temps, l'attente y paie. Comme souvent d'ailleurs. C'est un peu ça, le livre de John Irving. "Il faut attendre voir". Exceptionnel.

John IRVING, L'oeuvre de Dieu, la part du diable, Editions du Seuil, coll. "Points", 1995 (1986 pour l'édition originale), 724 pages, 9,50 €

9 septembre 2007

L'aube le soir ou la nuit


Cela fait partie, dit-on, de ces ouvrages qu'il faut lire. C'est l'un des incontournables de cette rentrée littéraire, toujours plus prolifique. Et comme pour les livres qu' "il faut lire", tous ces ouvrages pour lesquels ne pas s'adonner à la lecture nous ferait presque passer pour quelqu'un de démodé, force est de constater qu'on s'y met avec quelques réticences. C'est vrai que s'agissant de "L'aube, le soir ou la nuit", ce n'est certainement pas le fruit d'errements au gré des rayons de librairie qui nous y a conduit. Non, bien au contraire.


C'est que le sujet est d'actualité. Yasmina Reza, auteur de pièces de théâtre de renommée mondiale, s'est mis en tête d'accompagner Nicolas Sarkozy, tout au long de sa campagne électorale. Plus exactement de mai 2006, alors que l'actuel président de la République était encore ministre de l'Intérieur, à son accession à la magistrature suprême, un an après. Et des innombrables petits cahiers qu'elle a gribouillés, sous l'oeil bienveillant de l'entourage du candidat, Yasmina Reza en a tiré un livre, une sorte de chronique de campagne. Elle y relate les états d'âmes de Nicolas Sarkozy, les temps qu'elle estime fort de leur parcours commun.


Le résultat, assurément, n'est pas un livre politique ordinaire. Rien à voir avec la litanie qui fleurit en tête de gondole des librairies. Pas de révélations, peu de critiques acerbes, encore moins de détails autobiographiques. Pas de sentionnalisme, à tout le moins dans le contenu. C'est juste un journal, le récit de ce qu'elle a vu, de ce qu'elle a perçu. L'idée apparaît donc, de prime abord, sympathique. Sortir de ces livres politiques si attendus, si racoleurs, si compassés, cela n'a sûrement que du bon. Découvrir Nicolas Sarkozy sous la plume d'un écrivain, c'est intéressant.


Pourtant, on est déçu. Non qu'on s'attendait à un monument de littérature, bien sûr. L'ambition du livre n'était certainement pas celle là. Mais quand même. L'écriture apparaît terne, un peu monotone. Le tout n'est pas vraiment alerte. On lit, sans se prendre au jeu, en sentant le temps défiler. D'une idée à l'autre, d'un jour à l'autre, d'une pensée - parfois bien convenue - à l'autre, les pages se tournent, avec cette fâcheuse impression de lenteur.


Rien d'extraordinaire, donc. Rien d'excessif. Rien de ce que ce style d'ouvrage aurait pu pourtant laisser présager. Un exercice intéressant, sans plus. Ce qui est sûr, c'est que le résultat n'est pas à la hauteur du battage médiatique. Alors, oui, naturellement, "il faut le lire". A tout prix? Non.


Yasmina Reza, L'aube le soir ou la nuit, Editions Flammarion, 2007, 186 pages, 18 €

7 septembre 2007

Le Paradis - un peu plus loin



Mario Vargas Llosa est un grand écrivain, l'un des acteurs majeurs de la scène littéraire contemporaine. Sans doute d'ailleurs y excelle t'il plus qu'au sein du paysage politique de son pays d'origine. Et s'il fallait une preuve pour s'en convaincre, "Le Paradis - un peu plus loin" remplirait sans difficulté cette mission toutefois inutile.


C'est assurément un livre d'exception que celui-ci. Livre d'exception, parce qu'il choisit de nous faire pénétrer dans l'intime, dans le psychologique, dans l'analytique, de deux personnes, elles-mêmes d'exception. Rien de moins que Paul Gauguin et sa grand-mère, Flora Tristan. Et toute l'ambition de l'ouvrage est là, retracer les quelques mois, chaotiques pour les deux, qui précèdent la fin de chacun. 1803 - 1903, cent ans les séparent.


Magistral. Ni vraiment un roman, ni vraiment une biographie, "le Paradis - un peu plus loin" est les deux à la fois, mâtiné d'un talent de conteur rarement égalé et d'une érudition sans faille.


L'un des personnages, Paul Gauguin naturellement, est plus connu. La fin de sa vie, assez misérable, certainement moins. Son passé d'agent de change, ses étâts d'âmes, son rapport particulier à la sexualité, tout cela étonne. Gauguin énerve, on enrage. Mais, c'est plein d'admiration devant la puissance du personnage, devant l'entêtement jusqu'au-boutiste du peintre des Iles Marquises qu'on referme le livre de Mario Vargas Llosa.


Le véritable exploit de l'auteur péruvien est sans doute d'avoir ressuscité Flora Tristan. Née princesse d'une famille espagnole installée au Pérou, mais issue d'une union invalide, cette belle andalouse finira enserrée dans le corset d'un mariage minable, battue par son mari, un médiocre graveur répondant au nom d'André Chazal. Douée d'une force de caractère sans précédent, elle s'en déliera, tant bien que mal, à la mesure de ses moyens, fuyant le tragique de son existence. Voyage au Pérou, ensuite, pour y retrouver sa famille, dont elle tirera un livre exceptionnel. Retour à Paris, enfin. Elle se sensibilise aux idées de Fourier et d'autres, écrit, voyage et développe le projet d'une "union ouvrière". Ce sont les derniers mois de son périple que relate l'écrivain d'Arequipa. Ces mois de propagande entre Auxerre, Lyon, Marseille et Bordeaux, alors pourtant même que sa santé était au plus mal.


Féministe, paria, ouvriériste, humaniste, absolutiste, Flora Tristan était tout cela, un destin hors normes, dotant ainsi Paul Gauguin d'un patrimoine génétique considérable. Et c'est ce que nous rappelle Mario Vargas Llosa, dans un récit émouvant et passionnant, certainement l'un de ses meilleurs.


Mario Vargas Llosa, Le Paradis - un peu plus loin, éditions Gallimard, 2003, 531 pages, 25 €

5 septembre 2007

Cartographie des Nuages



Surprenant. C'est le premier mot qui vous vient à la bouche quand on repose cette masse impressionnante de pages qu'est le dernier livre de David Mitchell. C'est que la construction n'est pas banale. Bien au contraire, elle est pyramidale. Assez difficile à se représenter, une telle construction, s'agissant d'un ouvrage. Pourtant c'est bien le tour de force que réussit "Cartographie des nuages". Cinq histoires s'étalent: la première au XVIIIe siècle, la seconde au début du XXe siècle, la troisième dans les années 1960, la quatrième de nos jours, la cinquième plus tard, et la dernière...encore plus tard. C'est donc une première ascendance chronologique. Puis l'on redescend, dans le sens exactement inverse, pour achever le roman (les romans?) avec la première histoire, celle du début. La pyramide est redescendue, la boucle bouclée. Ce qui relie le tout? Un élément de chacune des histoires renvoie à la précédente. Le tout s'imbrique, se reflète, c'est amusant.


L'exercice réalisé par David Mitchell ne s'arrête d'ailleurs pas là. Chacune des histoires obéit à une forme différente et c'est ainsi que l'on évolue du journal de bord au genre épistolaire, en passant par les inévitables mémoires. Il reste que s'agissant de la dernière histoire, l'histoire centrale, celle qui ne se reproduira donc pas, le style, certainement soigneusement choisi par l'auteur, porte un coup sérieux à l'ensemble de l'édifice. Vaine tentative de reproduire le langage parlé, la lecture en devient indigeste.


Quand au fond, le roman s'illustre par sa constance. Les histoires sont intéressantes, certaines assez captivantes et on avoue sans peine qu'on a presque plaisir à retrouver les personnages que l'on avait abruptement quitté, Timothy Cavendish, Adam Ewing, Luisa Rey ou encore Robert Frobisher. On sentirait presque les sons cristallins du sextuor, Cartographie des nuages, si magistralement écrit par ce dernier, dans la chambre d'un hôtel de Bruges.


A dire vrai, tout cela semble bien irréprochable. Pourtant, il manque quelque chose à cet ouvrage qui semble exceller à tous niveaux. Peut être un côté brouillon fait-il défaut. Tout semble trop parfait, trop lisse. Un bel effort, certes. Un trop bel effort, sûrement. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que c'est un peu d'âme, un peu d'aspérité qu'il manque à ce roman. La prouesse du genre a certainement pris le dessus.


David Mitchell, Cartographie des nuages, Editions de l'Olivier, 2007, 658 pages, 23 €

2 septembre 2007

Lucky Boy


Walter Mosley est l'un des écrivains préférés de Bill Clinton. A ce titre, au moins, mérite-t-il que l'on s'y intéresse de plus près. Pourtant, son dernier roman n'a vraiment rien d'extraordinaire, et l'on se prend peut-être à espérer que Mosley s'en retourne aux séries de policiers qu'il affectionnait et dans lesquelles il excellait.


L'histoire de Lucky Boy, si elle fourmille de clichés, est singulière, il est vrai. Au commencement était un médecin de Beverly Hills et une fleuriste des quartiers défavorisés de Los Angeles. Lui, Minas Nolan, est blanc, et vient de perdre sa femme alors qu'elle mettait au monde leur unique enfant, Eric. Elle, Branwyn Beerman, est noire et passe son temps à l'hôpital où travaille Nolan, au service de soins intensifs, attendant que son nouveau-né, Thomas, si chétif, soit hors de danger. Et ce qui devait arriver se produisit, Nolan rencontra Branwyn. Ils tombèrent amoureux, du moins lui. Elle s'installa dans la villa cossue du chirurgien et les deux enfants furent élevés ensemble. Et à côté de l'histoire des deux adultes, c'est surtout l'histoire des deux garçons qui, rapidement, devinrent inséparables. Cependant, tout va s'effondrer. Branwyn va décéder, Thomas sera extirpé de ce foyer par son père biologique, un alcoolique criard et violent, et séparé de son frère.


Là, les choses sérieuses commencent réellement. Là, se déploie la thèse, intéressante, de Mosley. Les deux cent pages restantes, ce sont les tribulations de l'un, les pérégrinations de l'autre, l'un ayant toujours une pensée pour l'autre. Il reste que leurs destins seront foncièrement différents. A Eric, tout sourira. A Thomas, absolument rien. Eric serait dangereux; doué d'une chance hors normes, ce qui lui arrive d'exceptionnel produirait des dégâts collatéraux sur la vie de ceux qu'il aime. Progressivement d'ailleurs, il en prendra conscience. Quant à Thomas, il connaît vraiment la misère. Rien ne lui est épargné. Pourtant, il traverse. Assurément, c'est un rescapé.


Le tableau est maintenant brossé. Le résultat: un roman plat, larmoyant, aux sentiments éculés et fort en poncifs sur la société américaine. La langue est terne, monotone. La galerie des personnages n'est pas achevée. De nombreux auraient pu être évités. Les dialogues ne brillent pas et on n'est jamais vraiment surpris par le fil de l'histoire. On sait bien que tout aurait pu se passer ainsi. On sait bien, comme l'indique la quatrième de couverture qu'avec ce livre, on découvre "un portrait subtil et dérangeant de l'Amérique des races et des classes". Mais, subtil, le mot est un peu fort. Ce n'est pas tellement que le destin de l'un et de l'autre soit si particulier. Malheureusement, dans l'Amérique d'aujourd'hui, cette discrimination dans la réussite est bien présente, à de nombreux niveaux. Il reste que l'imbrication des vies d'Eric et de Thomas semble forcée, irréelle. Plane un zeste d'irrationnel, pas forcément bienvenu. Une thèse intéressante, desservie par une forme décevante. Dans ce roman, on à peine à y rentrer. Dommage.


Walter Mosley, Lucky Boy, Editions Liana Levi, 2007, 332 pages, 21 €

1 septembre 2007

Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme.


C'est un livre assez étrange que celui de Cormac Mc Carthy. On le prend, on l'ouvre et on le referme. Entretemps, on l'a lu en entier. Il a du se passer un voyage. C'est cela sa première force, à ce dernier opus : il vous tient en haleine. De la grande veine de romans américains, ces romans noirs, ces romans où l'on ressent un malaise du début à la fin. Peut être d'ailleurs celui du héros, Llewelyn Moss.

Tout démarre sur les chapeaux de roues. On ne sait pas très bien quand. Un carnage dans un de ces déserts de l'ouest américain, un de ceux pour lesquels on a échafaudé mille légendes sur ce qu'il pouvait bien y avoir sous terre, de ceux dont bien qu'on sache qu'il ne faille pas, on a tout de même envie de s'y aventurer. Moss découvre deux voitures criblées de balles, des cadavres, plusieurs millions de dollars et bien sûr, beaucoup de drogue. A n'en pas douter, le trafic de cocaïne a encore frappé. Parce que Moss est un être humain, parce que Moss a bien sûr une vie misérable - mobile-home et petits jobs - bien qu'accompagné d'une femme adorable, Moss va prendre l'argent. Il va pourtant vite se rendre compte que ce n'est pas le sien, et que beaucoup sont derrière lui. Naturellement, ceux qui en ont après l'argent ne sont pas des tendres. Les vrais propriétaires du magot, bien entendu, sont soucieux de le récupérer. En plus, un tueur à gage bourré d'états d'âme, un ex-officier des services spéciaux. Et la police, qui peine, derrière, et qui tente de dénouer les fils de cette drôle de situation. Et tout ce petit monde, assez hétéroclite, il est vrai, en a après Moss.

Il faut passer sur le style, du moins s'y adapter. En tout cas pour ce qui ressort de la traduction française. C'est qu'il est assez étrange. Pas un signe de ponctuation, si ce n'est des points. Sans doute est cela qui donne au roman cette dimension si saccadée, cette impression de rapidité, presque de temps compté.

Une fois habitué, et au-delà de quelques clichés, on rentre dans un vrai road-movie, déjanté, allumé, halluciné, un imbroglio d'images impensables. Il regorge de scènes d'anthologie dont on aimerait que Tarantino s'empare. En tout cas, c'est un condensé d'Amérique. Pas de n'importe quelle Amérique, c'est vrai. C'est l'Amérique des pick-ups, des motels miteux, de la bière et des petites villes de Californie du Sud à une route principale. C'est l'Amérique qu'on déteste, mais qui attire.

Voilà le mérite de Cormac Mc Carthy. Un film dans un livre, toute une ambiance, toute une atmosphère. Un vrai bijou. Alors pourtant qu'il n'avait plus rien écrit depuis maintenant sept ans, c'est en force qu'il revient.

Cormac Mc Carthy, Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme. Editions de l'Olivier, 2007, 292 pages, 21 €.

Harry Potter and the Deathly Hallows

Rien ne sera révélé dans ce billet sur le dénouement de ces sept années qu’aura duré l’affrontement entre Harry Potter et Lord Voldemort, ou sur d’autres éléments constitutifs de l’intrigue. Le but de ce billet n’est pas de gâcher la joie de ceux qui voudront découvrir cette histoire, il est de rendre compte et de susciter l’envie. Car si aujourd’hui, tout le monde sait ce qu’il advient de Frodon Bagins ou de Lizzie Bennet, nous sommes la dernière génération qui ignore comment s’achève la saga créée par J. K. Rowling. Nos enfants ne pourront pas en dire autant.

Si un livre a été attendu, c'est bien celui-là. Pour certains, l'attente aura duré quelques mois, pour d'autres elle aura duré dix ans.
En 1997, J. K. Rowling obtient la publication du premier tome des aventures d'Harry Potter : le contrat de publication porte sur 5.000 exemplaires. En 2007, les sept volumes de la saga ont battu tous les records de vente (il faut compter en centaines de millions d'ouvrages vendus).

La question se pose alors de savoir si ce succès est "mérité". Et la réponse est : oui, mille fois oui !

Après nous avoir donné des pistes à explorer à la fin du sixième tome (Harry Potter and the Half-Blood Prince), J. K. Rowling nous mène sur un tout autre chemin, un chemin parfois très long dont on se demande si le trio pourra trouver l'issue. Cette lenteur momentanée au coeur de l'histoire nous fait perdre pied avec les héros et l’on finit par appréhender le moment où l’auteur devra tout mettre en place hâtivement pour que la conclusion tombe parfaitement. Rien de tel : J. K. Rowling sait distiller ses informations, les présenter au moment opportun et donner le rythme qu’il faut à chaque temps de l’aventure.
Et le lecteur, tout en vivant pleinement avec Harry, Ron et Hermione les moindres détails de leurs angoisses, de leurs joies ou de leurs disputes, obtient toutes les réponses attendues. Même le pottermaniaque attentif au moindre détail. J. K. Rowling nous régale avec son sens du tissage des histoires : tout s'entremêle avec sens et rigueur. On retrouve des personnages rencontrés bien des années auparavant, des endroits traversés à l'occasion des frasques du trio. Tout s'articule merveilleusement. Et l'on se réjouit d'avoir eu de l'intuition pour telle partie de l'intrigue. Et l'on s'en veut de n'avoir pas eu l'esprit plus perspicace pour telle autre.

Le résultat final est un livre noir, dur, violent, magnifiquement rythmé, empreint d’un bel esprit d’aventure où l’amour, l’amitié et le courage sont la clé de tout.


Harry Potter and the Deathly Hallows, J. K. Rowling
Bloomsbury, 2007, 607 pages
Disponible en français le 26 octobre 2007, aux éditions Gallimard.