Au cours d’une nuit passée dans un refuge de chasse, deux hommes, Mavrodin et Hasnas, vont revivre par leurs confidences respectives, la relation amoureuse qui les a bouleversée à jamais, et réaliser que la même femme a traversé leur vie pour le meilleur et pour le pire.
Mavrodin est un écrivain reconnu, âgé d‘une trentaine d‘années et fréquentant l‘intelligentsia bucarestoise. Tout lui sourit, ses livres se vendent bien et font autorité, mais pourtant on le sent désabusé, plus rien ne le surprend. Il va même jusqu’à imaginer les réactions que peuvent susciter ses œuvres, et le prestige qu'il peut en retirer. Il est conscient du magnétisme qu'il exerce sur les autres de par cette activité et en joue, au cours des soirées mondaines auxquelles il est convié. C’est d’ailleurs au cours d’une réception qu'il rencontre Ileana, une femme d’une beauté rare, intelligente, mystérieuse et froide, et c’est peut être justement cette indifférence qui interpelle Mavrodin, lassé de savoir qu'il peut obtenir ce qu'il désire, comme l’enfant gâté qu'il est.
La magie opère instantanément. Des sentiments réciproques semblent très vite les unir; l’emballement dont fait preuve Mavrodin est à ce titre très touchant car il est animé du même enthousiasme qu'à l'âge des premiers émois, au point de susciter par moment l’écoeurement, par un excès de mièvrerie parfois irritant.
Pourtant il s’égare; ce qu'il croyait acquis va le fuir. Il ne réalisera que trop tard que bien avant qu'Ileana s'en aille, le lien qui les unissait était déjà fragile; mais tourné vers lui-même, il lui était impossible d‘en prendre conscience.
Hasnas connaîtra un destin similaire et tout aussi sévère; il se croyait «propriétaire d’une belle épouse », comme il se plaira à le dire, ce qu'elle ne tardera pas à contredire au premier faux pas de son riche époux, trop fier pour reconnaître à temps sa part de responsabilité dans leur chute.
Cette femme, Ileana pour l’un et Lena pour l’autre, n’est autre que la symbolique de l’être parfait, du « miracle » que l’on n’attendait plus et qui a permis ces noces éphémères au paradis, mais que l’on a laissé s’échapper par manque de lucidité, par naïveté, et surtout par égocentrisme qui finit, si l’on n’y prend pas garde, par ronger de manière insidieuse une relation passionnée, ne laissant place qu'aux regrets que se livrent Mavrodin et Hasnas. Les miracles n’ont-ils pas cela en commun d’être identifiés bien après leur manifestation?
Au-delà de cette métaphore à caractère divin, chère à l’historien des religions qu'est avant tout Mircea Eliade, on peine parfois à adhérer au récit, raconté par deux hommes arrogants, unis par la même femme, laquelle est décrite comme entière et ne pardonnant nuls errements. L’absence de point de vue féminin permet difficilement de prendre la mesure des décisions irrémédiables d'Ileana, qui pourraient être considérées comme hâtives, voire capricieuses, égratignant par là même l’image de la femme. Ce roman n’en reste pas moins une œuvre que l’on prend plaisir à savourer jusqu’à la dernière page, de par une plume d’une très grande poésie.
Mircea Eliade, Noces au Paradis, Editions Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1981, 265 pages
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