17 septembre 2007

Le Temps de l'innocence


La haute société new-yorkaise à la fin du 19ème siècle : un tissu délicat de convenances et de préjugés. Newland Archer est un jeune homme de son époque. Fils d’une des meilleures familles de la nouvelle aristocratie américaine, nourri des traditions et des préjugés qui brodent petit à petit autour de lui une toile invisible qui l’empêche de voir plus loin que son petit monde bien rangé, il n’a jamais remis en question la structure sociale qui l’entoure. Entre théâtre, opéra et dîners mondains, il s’apprête à épouser la belle ingénue May Welland. Bien élevée, de bonne famille, douce et innocente, la jolie May sera la compagne idéale : discrète, gentille, disciplinée.

Newland Archer est content. Tout semble être en parfait ordre, quand la comtesse Olenska, cousine de sa fiancée, revient d’Europe. Belle, séduisante, mystérieuse, elle n’a aucun intérêt pour les conventions subtiles qui régissent la société new-yorkaise. Madame Olenska est différente : elle mène son propre combat pour la liberté. Mariée en Europe (quelle folie, déjà ! épouser un européen ?) au comte Olenski, un libertin qui l’a maltraitée et humiliée, elle décide de fuir pour se réfugier dans sa New-York natale. Mais ses troubles sont loin d’être finis. A New-York elle doit mener une lutte féroce pour préserver cette liberté qu’elle a acquise avec tant d’effort, une lutte contre sa propre famille et contre une société impitoyable qui ne tolère pas le moindre écart de l’ordre établi.

Quand Newland rencontre Ellen Olenska, il est gêné par son caractère, son esprit libre, son désir d’indépendance, son indifférence pour les conventions. Mais cette femme passionnée l’attire par la force, la beauté et la liberté de son esprit, qui ne rappelle en rien les jeunes femmes de son rang, dont l’innocence est préservée « par une conspiration silencieuse de mères et de tantes », chargées de les protéger de tout ce qui est « désagréable » dans la vie. La comtesse Olenska, elle, est une femme qui a vécu, qui a souffert et qui ne s’est pas laissée faire. Une femme libre. Petit à petit, un lien passionnel très fort se forme entre les deux et presque malgré eux. Mais la société, incarnée par May Welland et tout ce qu’elle représente, est implacable. Partagé entre devoir et passion, Newland Archer remet pour la première fois en question la structure étouffante d’une société affreusement conventionnelle. Va-t-il capituler face à encore une conspiration silencieuse qui regroupe toute la famille, toute la société, derrière la douce May ? Ou bien trouvera-t-il le courage de se battre pour l’amour et la liberté contre les préjugés d’une société qui ne le pardonnera pas?

Beaucoup plus qu’une histoire d’amour, le temps de l’innocence est une esquisse fascinante de la société américaine de la fin du 19ème siècle. Le titre, fortement ironique, fait allusion à une société dont l’innocence est soigneusement préservée par un voile délicat mais indéchirable de mensonges bienveillants. Une société qui peut, en réalité, pardonner tout à ses enfants sauf le « désagréable ». Ce qui se passe sous la surface importe peu – ce qui importe, c’est que les apparences soient préservées. Toute « situation » doit être résolue discrètement, silencieusement, afin d’éviter toute « scène » : le comble de la vulgarité pour les esprits délicats de la haute société new-yorkaise.

Le temps de l’innocence est un livre passionnant. Sous prétexte d’une belle histoire d’amour comme on les aime, Edith Wharton nous livre en réalité une étude sociale très élaborée. C’est la critique impitoyable d’une société d’hypocrisie, de puritanisme, de passions cachées et de vies gâchées. Une société qui veut, avant tout et à tout prix, préserver non pas son innocence, déjà perdue depuis longtemps, mais son apparence d’innocence – parce que c’est ça qui importe, n’est-ce pas ?

Edith Wharton, Le temps de l'innocence, Flammarion, 1993, 312 pages, 6,46 €

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