Yasunari Kawabata est très peu connu en France. Et pourtant, l’œuvre de cet auteur, premier japonais à être récompensé du prix Nobel en 1968, cache de vrais petits bijoux. Les Belles Endormies en est un. Un livre presque secret, qu’on déguste avec le plaisir d’un explorateur qui découvre une terre inconnue. On ne le connaît pas, on n’attend rien – et on est agréablement surpris.
Eguchi est un homme de 65 ans. Un vieil homme ? Il sait qu’il s’approche dangereusement d’un âge où les passions s’émoussent, mais il n’ose pas se l’avouer. Quand il entend parler de la mystérieuse maison des Belles Endormies, sa curiosité le pousse à la visiter malgré son aversion pour les vieillards impotents qui composent d’ordinaire sa clientèle. Cette auberge, perdue dans la campagne japonaise, offre aux vieillards en quête de sensations la possibilité de passer la nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’emprise de puissants narcotiques. Une maison du plaisir ? Pas vraiment, si ce n’est que le plaisir de dormir à côté d’une jeune femme. Mais il paraît que dormir à côté d’une belle endormie, cela donne des rêves d’une beauté puissante. Pour sa part, Eguchi sent qu’il a encore en lui de quoi « se comporter en homme ». Mais quelque chose de très puissant l’attire vers cette maison. Convaincu qu’il ne ressemble en rien à ces « clients de tout repos » qui ont besoin de payer même pour dormir à côté d’une belle femme, il décide cependant, presque malgré lui, de tenter l’expérience.
Dans cette maison secrète, il est introduit dans la chambre où une belle adolescente est plongée dans un sommeil profond. Fasciné par cette expérience, il revient encore et encore, chaque fois pour s’endormir à côté d’une fille différente, et chaque fois il y entre comme s’il entrait dans un monde magique où le temps s’arrête. Dans la chambre semi-obscure, la tendresse qu’il éprouve pour les belles endormies réveille en lui le souvenir des femmes qu’il a aimées. Emu par leur beauté résignée et par leur destin si curieux, il passe en revue sa vie à travers les femmes qui y ont laissé leur empreinte : sa mère, ses maîtresses, sa femme, sa fille.
Les Belles Endormies est un livre qui déborde de tendresse et de beauté – non, ceci n’est pas exact. Il ne déborde pas, parce que rien n’est de trop, tout est justement dosé, il n’y a rien de superflu. Kawabata met en scène l’éternel conflit entre jeunesse et vieillesse, homme et femme, rêve et réalité, résignation et force. Sauf que, sous sa plume, cela n’est plus un conflit mais la fusion de deux éléments complémentaires qui se fondent l’un dans l’autre, comme le yin et la yang. Délicate et sensible, la plume de Kawabata fait de l’histoire du vieux Eguchi et de ses Belles Endormies un livre discrètement sensuel et doucement émouvant.
Yasunari KAWABATA, Les belles endormies, Le livre de Poche, 1982, 124 pages, 3,33 €
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