Le dernier ouvrage de Philippe Claudel, régulièrement encensé par la critique, figure sur la liste des quinze romans publiés tout récemment par l'Académie Goncourt. Il est donc susceptible d'obtenir cette précieuse récompense, si convoitée, qu'est le prix éponyme. Ce n'est toutefois certainement pas la raison qui pousse à découvrir, puis à lire le rapport de Brodeck. Non, bien au contraire.
Il s'agit plutôt ici de l'histoire. Elle attire l'oeil. Pourquoi ? Parce qu'en cette rentrée littéraire, il ne s'agit pas d'un énième roman sur la guerre. De guerre, bien sûr, il en est question. Mais il s'agit du temps de l'après, de cette période trouble, si propice aux bassesses et errements de l'âme humaine. La guerre, elle est en filigrane, derrière, dans toute son horreur. Elle plane.
Le décor est celui d'un petit village d'Alsace-Lorraine, frontalier, perdu au milieu de nulle part, perdu au milieu de vallées encaissées. Brumeux, calme, le village semble vivre au gré d'une léthargie pesante. Philippe Claudel distille savamment les conditions d'une atmosphère sordide, alimentée par la petitesse des personnages dont l'auteur brosse brillamment le portrait. Toute une ambiance, si finement tissée autour d'une épaisse gangue de délicates descriptions.
Et ici, le temps de la paix est revenu. Le problème, c'est que depuis, il s'est passé l' "Ereigniës", cet évènement cruel et terrible, auquel tous les hommes du village semblent avoir participé. Mais il faut dire que l'arrivée de l' "Anderer", si particulier, si insolent dans sa différence, les a surpris. De cette occurence atroce, Brodeck sera chargé d'en relater les conditions, d'en faire le rapport. A dire vrai, il n'aura guère le choix. Après tout, il a fait des études, dispose d'une machine à écrire, et son travail n'est-il pas précisément de dresser des rapports, ennuyeux, envoyés ensuite à l'administation? Brodeck va donc s'atteler à cette tâche ingrate. Il s'y soumet avec zèle, sous l'oeil soupçonneux des hommes du village, ceux là même qui sont à l'origine de l'évènement. Mais bien sûr les choses ne s'arrêtent pas là et derrière le rapport de Brodeck, il y a l'histoire de Brodeck. C'est que ce dernier a fort à dire. Beaucoup à raconter. Rescapé des camps, plutôt miraculé, il nous conte son calvaire et la difficile réadaptation qui s'ensuivit.
Le livre de Philippe Claudel est bon, c'est indéniable. D'une manière générale, au détour d'une histoire simple, le rapport de Brodeck nous renvoie à la médiocrité. Il reflète assurément le difficile rapport à l'altérité qui prévaut chez certains. Loin de toutes prétentions, il se laisse aisément lire, à travers un style bien agréable, nourri de fines réflexions et d'une langue élégante. Force est de constater d'ailleurs que l'effort va bien au-delà. Certaines des descriptions sont puissantes, excellentes. Elles retournent, prennent à la gorge. Le livre se vit, on perçoit si facilement cette atmosphère délétère que reproduit l'auteur. Progressivement, on sent sourdre l'évènement. Il devient impossible d'arrêter la lecture. Intense le roman se construit pas à pas. C'est incontestablement là un bel ouvrage.
Philippe CLAUDEL, Le rapport de Brodeck, Stock, 2007, 401 pages, 21,50 €
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