23 novembre 2007
Le marin de Gibraltar
18 novembre 2007
La possibilité d'une île
Daniel est un artiste à la notoriété grandissante qui vit de ses one man show, principalement, de ses apparitions télévisuelles, et de ses productions cinématographiques douteuses. Son humour grinçant est sa marque de fabrique; il rit de tout, et en particulier de ce qui pourrait choquer les esprits bien pensants dont il se moque: le conflit israélo-palestinien, les religions, les mœurs sociales... Il aime le sexe et l’argent, peut être l’un plus que l’autre, mais il sait que l’un conduit inexorablement à l’autre et que toute tentative de démonstration contraire serait pure hypocrisie. Il aimerait croire en l’Amour véritable, mais son manque de confiance envers la nature humaine qu’il dissocie à peine de celle de l’animal, le pousse à y renoncer, même si cette constatation lui est douloureuse. Malgré cela, il éprouvera des sentiments pour deux femmes qui n’auront en commun qu’une plastique de mannequin sur papier glacé: « Isabelle qui n’aimait pas suffisamment le sexe, et Esther - de vingt ans la cadette de Daniel - qui n’aimait pas suffisamment l’amour ».
Cette distanciation opérée au travers du prisme des Daniel 24/25 est l’occasion d’une critique virulente de notre propre société, de notre propre individualité et de la condition humaine toute entière! Partageant le pessimisme de Schopenhauer dont il est l’un des plus fervent admirateur, Houellebecq frappe fort en développant des thèmes déjà présents dans ses précédents romans: le sexe, les relations homme-femme, la connerie humaine (pléonasme!) sous toutes ses manifestations… Il n’est pas inquiet quant à l’avenir de la société et de l’Homme en général, puisque cela impliquerait qu’il y ait une alternative en sa faveur, or cette alternative n’existe pas. L’Homme est sur la voie de son déclin car il comporte en lui-même les germes de sa propre disparition. La notion d’individu est devenue prépondérante; l ‘ego a pris le dessus, au point qu‘on ne se reproduit plus de manière charnelle mais par clonage, ce qui ouvre les portes d’une certaine forme d’immortalité.
L’environnement dans lequel il évolue est dépeint comme féroce.
Les références aux thèses darwiniennes sont d’ailleurs nombreuses dans le récit de Daniel 25 qui décrit les « sauvages », sorte d’humains primitifs, comme des animaux qui éliminent les plus faibles d’entre eux si la nature ne s’en est pas encore chargée. Les individus âgés et fragiles sont écartés dans cet univers déstructuré proche de l’état de nature décrit par Hobbes.
Loin de la littérature « prozac » dont on pourrait trop facilement le rapprocher, « La possibilité d’une île » fascine par son hyper réalisme.
Vénéré ailleurs, sujet à polémique en France où l’on s’attache à fustiger la forme sans prêter attention au fond qui servirait pourtant de substrat à bien des réflexions, Houellebecq dérange et n’en finit pas de faire parler de lui, indirectement ou non dans la mesure où la question du clonage humain reste encore taboue, alors que la science progresse à grands pas (Un laboratoire américain a d’ailleurs « mis au monde » ces jours-ci le premier clone de primate, génétiquement proche de l’Homme…).
Notons que Houellebecq vient d’achever la réalisation de « La possibilité d’une île » pour le cinéma, dont on reparlera sûrement lors de sa sortie en 2008.
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, 2005.
11 novembre 2007
Exposition : Steichen, une épopée photographique
D'emblée, à peine les pieds mis dans l'enfilade de salles qui s'étalent sur deux étages et qui rendent hommage à ce fin stakhanoviste de la photographie, on est saisi par la délicatesse du cliché. Brumeux, doucement vaporeux, une quasi évanescence romantique. Voilà ce qui émane de l'art Steichen. De ce photographe décédé alors qu'il avait presque cent ans, de cet européen pendant les 18 premiers mois de sa vie, puis émigré dans le Wisconsin avec ses parents, pour y être naturalisé américain, c'est certainement ce qui revient à l'esprit.
Mais il nous est également rappelé que Steichen fut un solide portraitiste, traduisant avec une vibrante réalité la nature de ces sujets. Défilent ainsi Pierpont Morgan, Churchill ou encore Brancusi, l'un de ses amis.
Passionné d'horticulture, ce qui vaut d'ailleurs à l'exposition quelques clichés, Steichen fut également photographe de l'armée durant la première guerre mondiale. Mais il retourna rapidement à ses premiers émois et travailla pour de célèbres magazines à l'instar de Vogue et de Vanity Fair. Seront ainsi magnifiquement immortalisés nombre d'acteurs et de célébrités, tel Fred Astaire et Greta Garbo. Et bien sûr, comment, comment ne pas se souvenir de cette exceptionnelle série de clichés représentant Isadora Duncan sur les hauteur de l'Acropole?
C'est donc tout cela Steichen, cet inventaire à la Prévert qui, imparfaitement, rend compte de son oeuvre. Mais c'est aussi bien d'autres choses. Directeur de la photographie au MoMA de New York, organisateur de cette si célèbre exposition, "The family of Man". Et c'est aussi cela. Ces quelques lignes n'y suffisent donc pas. L'exposion du Jeu de Paume s'y attèle avec réussite, au terme d'un parcours particulièrement bien ficelé. Photographe d'un siècle, photographe du siècle, Steichen était un artiste. Une si belle rétrospective lui était due.
Exposition "Steichen, une épopée photographique"
Du 9 octobre au 30 décembre 2007
Musée du Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 PARIS
Mardi 12 h - 21h ; Mercredi à Vendredi 12h - 19h ; Samedi et Dimanche 10h - 19h
5 novembre 2007
Le Guépard
2 novembre 2007
César Birotteau
31 octobre 2007
Exposition Courbet
Le propos de cette exposition est de mettre en avant la modernité de Courbet, de l'élever au rang de maître aux côtés de Cézanne ou Manet.
Pour cela, les commissaires de l'exposition ont choisi de rythmer le parcours des visiteurs en huit temps, qui représentent autant de thématiques dans l'oeuvre de Courbet.
Révélé au Salon de 1844 par l'Autoportrait au chien noir, Courbet nous saisit surtout avec son Désespéré, toile de 1843-1845 dont il ne s'est jamais séparé. L'artiste, pourtant réputé pour sa jovialité, témoigne ici de son spleen, dans une représentation torturée, nouée. Le sujet semble à chaque instant vouloir jaillir de son cadre.
C'est assurément une des toiles les plus fortes de la rétrospective.
Le deuxième temps du parcours est centré sur la famille de Courbet, sur ses soeurs en particuliers, qui figurent dans de nombreux tableaux. Attachée à sa terre natale, Courbet gardera toujours en lui les paysages de son enfance, comme en témoigne les grottes de la Loue rassemblées plus loin.
Viennent les manifestes. Deux toiles majeures sont présentées ici: l'Enterrement à Ornans et l'Atelier du peintre. Ce sont les dimensions qui impressionnent au premier regard. Puis le sujet lui-même du tableau se met en place. Dans le premier cas, il s'agit de la béance creusée dans la terre, et dans le second, d'un peintre qui tourne le dos aux canons de son époque. Deux toiles qui ont été largement discutées, critiquées à leur époque et qui font l'objet des plus belles louanges aujourd'hui tant leur influence a été déterminante.
Après avoir cédé un temps aux exigences de ses contemporains (portraits de Proudhon, notamment), Courbet choisit de travailler sur le nu féminin. On pense alors immédiatement à l'Origine du Monde, autour de laquelle sont rassemblées les Baigneuses et la Femme au Perroquet, notamment.
Enfin, les scènes de chasse précèdent les dernières toiles de l'artiste. On se souvient de l'engagement de Courbet sous la Commune, de sa condamnation à réparer les frais de reconstruction de la Colonne Vendôme. Les natures mortes peintes pendant l'incarcération à Sainte-Pélagie témoignent de l'état d'esprit du peintre.
Au final, c'est un très beau moment qui est proposé. Un peintre que l'on redécouvre et que l'on a envie de mieux connaître.
Exposition Courbet, du 13 octobre au 28 janvier 2008. Tous les jours sauf les mardis
Galeries nationales du Grand Palais, 75008 Paris, entrée Clemenceau.
Tous les jours 10h-22h sauf le jeudi jusqu'à 20h.
Tarifs: 10€ / 8€
Pour plus de renseignements : http://www.rmn.fr/gustavecourbet/index.html
28 octobre 2007
Triangle
1968. Un espion du Mossad, Nathaniel Dickstein, est chargé de pourvoir Israël de la bombe nucléaire. En effet, les services secrets israéliens viennent de découvrir que l'Egypte est sur le point de posséder la bombe atomique, et il semble que la sécurité de l'Etat d'Israël ne pourra pas être assurée sans la possession de la bombe.
Mais ce sont des événements bien antérieurs qui vont conditionner l'exécution de ce plan. Des événements que le prologue situe pendant la Seconde Guerre mondiale et en 1947. C'est l'époque des grands idéalismes. Celle où un monde nouveau est à construire ; et à se partager.
Le reste, c'est un roman d'espionnage, une "aventure tout à fait digne de James Bond", nous dit Ken Follett en post-scriptum. Un Ken Follet pas mauvais, bien documenté. Mais pas forcément très rythmé. On avance, on veut connaître la fin, mais on se dit aussi que la fin, on la connaît. Bien sûr que le plan de Dickstein va aboutir. Bien sûr que la fille est fiable. Bien sûr que les méchants vont perdre (la partie, et la vie).
Quelques facilités aussi. On ne peut s'empêcher de sourire en entendant Al Cortone, un ancien ami que Dickstein sollicite, le "don", raconter sa vie. Au loin, la douce mélodie du Parrain de Coppola déroule ses violons ...
Triangle, c'est l'Occident qui décrit le système communiste, c'est le récit des fedayin qui justifient leur lutte, et c'est Israël qui veut assurer sa position dans une région en proie aux luttes d'influence de la Guerre Froide.
Retour en 2007. Les arguments avancés par le chef des renseignements israéliens sonnent comme un écho à ce que l'on entend en ce moment. Ou plutôt comme un "contre-écho"...
Ça se lit. Mais pas urgemment.
21 octobre 2007
Un roi sans lendemain
L'excellent ouvrage de Christophe Donner, loin de s'ajouter inutilement à cette pile de contributions, y apporte une surcroît indéniable de qualité. L'histoire de ce "roi sans lendemain" y est narrée par le menu, avec brio, sans jamais que l'attention du lecteur ne puisse défaillir. Livre d'histoire tout en étant le livre d'une histoire, celle d'un enfant victime des transformations de son époque, l'écrivain apporte un regard neuf et bienvenu sur ce pan si particulier de notre passé.
La trame narrative qui sous-tend l'ensemble du roman est assez simple et n'est, après tout, qu'un prétexte. Henri Norden, écrivain de renom, se voit confier la rédaction du scénario d'un film qu'une productrice entend consacrer à la vie du jeune fils de Louis XVI. Norden lit, recherche, écrit, et progressivement s'imprègne du personnage. Et parallèlement, l'écrivain tombe amoureux d'une séduisante animatrice d'émissions littéraires. Mais l'histoire d'Henri Norden s'efface bien vite au profit de celle du jeune Bourbon. A telle enseigne d'ailleurs que les brèves incursions qui s'étiolent au fil des pages nous rappellent tout de même les raisons qui nous ont menées là. Elle s'efface bien vite, certes, mais il faut s'en féliciter.
Avec frénésie, on découvre donc la courte vie de Louis XVII. Mais c'est sous un angle nouveau, une perspective jusque lors peu travaillée qu'elle se déroule. Norden s'entiche d'Hébert, qu'il tient pour principal responsable de la mort du royal prisonnier. Hébert le virulent, le sanguinaire, le radical, le chef de fil des sans-culottes, l'un des principaux responsables des massacres de septembre 1792. Hébert le journaliste, l'animateur du Père Duchesne, ce journal quasi satirique dont les articles assassins émaillaient la vie politique révolutionnaire. Tout jeune, il fut chassé d'Alençon. C'est à Paris qu'il prit sa revanche, développant une haine obsessionnelle à l'encontre de la famille royale. Et Donner/Norden de nous faire découvrir là un personnage essentiel à son destin, et plus généralement à la compréhension de la tourmente de l'époque. Un personnage qui participa grandement au sort du dauphin.
C'est ainsi que progressivement un roi sans lendemain se mue en une délicate biographie croisée d'Hébert et de Louis XVII, dont le courage du dernier semble avoir forcé l'admiration de l'auteur. Et toujours, sous cet alibi du roman qui en atténue les éventuels travers encyclopédiques. On est donc fort loin de ces pâles romans historiques qui fleurissent actuellement. Un roi sans lendemain est autre chose. Bien meilleur. Et c'est tant mieux.
Christophe DONNER, Un roi sans lendemain, Grasset, 2007, 378 pages, 20,90 €
16 octobre 2007
On ne badine pas avec l'amour
Perdican, de retour chez lui après plusieurs années d’absence au cours desquelles il a mené de brillantes études, retrouve Camille, sa cousine, mais aussi sa promise; celle-ci le rejette par crainte d’aimer, par crainte de souffrir. Ses années passées au couvent ont profondément modifié sa vision de l’Amour et des hommes, perçus comme un danger auquel elle refuse de s’exposer. Perdican, passionnément épris de Camille, se livrera à des machinations destinées à faire naître l’envie, la jalousie, en « jouant » les séducteurs auprès de sa sœur de lait, Rosette, qui symbolise l’être pur et naïf et qui ne pourra survivre à l’écroulement des illusions dont elle s’était bercées.
On pourrait croire que l’auteur de Lorenzaccio condamne pareilles machinations, qu’il met en garde ceux qui considèrent les sentiments amoureux avec légèreté, mais en réalité il n’en a cure; bien au contraire, l’Amour est souvent à ce prix, l’Amour est souvent indissociable de la notion de souffrance, et c’est peut être même à cela qu’on reconnaît qu‘il a été. De Musset l’exprime à travers Perdican: « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice crée par mon orgueil et mon ennui ».
La légèreté n’est cependant pas absente de cet ensemble Shakespearien. Des personnages burlesques incarnés par les prêtres, les paysans, ou Mme Pluche, la gouvernante de Camille, sont mis en scène avec beaucoup de dérision. C’est d’ailleurs un homme, le très convaincant Olivier Hémon, qui prête sur scène ses traits au personnage de Mme Pluche, choix audacieux du metteur en scène Philippe Faure, qui a pris le risque de s’exposer aux foudres des partisans du théâtralement correct criant à la mutilation de l’œuvre. La surprise vient aussi d’un décor des plus sommaire, se réduisant à une simple parcelle de prairie, dépourvue de fontaine que l’on serait en droit d’attendre si l’on s’en réfère au texte, de portes qui claquent, d‘éléments distinctifs de la bourgeoisie de l‘époque,… rien de tout cela n’est représenté sur scène, et qu’importe! On n’en est que plus absorbé par le jeu des comédiens, habités par leur personnage, et réussissant le tour de force de faire vivre cette scène vide en costumes sombres, tantôt kitch, tantôt contemporains.
On ne badine pas avec l’amour, mise en scène de Philippe Faure, au TAPS Scala à Strasbourg du 11 au 14 octobre 2007; du 13 au 22 novembre 2007 au Théâtre de la Croix-Rousse de Lyon.
15 octobre 2007
Cendrillon
10 octobre 2007
L'Eden Cinéma
Retours à Trieste
4 octobre 2007
Meilleurs souvenirs de Grado
On sourit souvent, on rit même parfois, mais malgré l’humour grinçant distillé tout au long de la pièce, on peine à se moquer de ces personnages attachants, qui ne connaissent que la notion de labeur, et pour qui la valeur travail est prédominante, parce qu’il n’ont jamais rien connu d’autre, de par le milieu modeste dont on les imagine issus.
Anna et Karl forment un couple traditionnel, solide et uni.
Elle est tantôt anxieuse, tantôt hystérique ou enthousiaste, voire les trois à la fois! Arrivée à Grado, passées les premières heures de repos suivant un trajet pénible en voiture sur des routes nationales à moindre frais, elle est comme une enfant qui veut tout découvrir. Elle ne travaille pas, n’a pas de réelle vie sociale et ne vit qu’à travers celle de son mari. Conformément aux valeurs traditionnelles de l’époque, et bien qu’ils ne fassent pas partie de la catégorie la plus favorisée, elle s’occupe de leur enfant et c‘est cela sa seule activité. Il lui fera d’ailleurs remarquer que c’est lui qui « ramène l’argent à la maison » , en bon père de famille qui a sacrifié sa vie au profit de ceux qu’il aime.
Karl est d’ailleurs fatigué, usé par son travail à l‘usine. Il en est devenu très terre à terre, comptant le moindre pfennig qui sort de sa poche -chaque activité proposée par Anna est automatiquement traduite dans l’esprit de son mari en autant d’argent qu’il va falloir débourser-. Il semble avoir accepté de partir en vacances parce qu’il est de bon ton de pouvoir dire qu’on y a été, pour pouvoir s‘en enorgueillir auprès du peu d‘amis qu‘ils ont.
Pourtant, ces vacances ont quelque chose de salvateur pour ce couple qui a laissé s’installer la routine, et dont la libido s’est perdue en route.
Sur une scène reproduisant en arrière-plan une photographie grandeur nature de vacanciers sur une plage, réchauffée par une lumière intense, qui devient aussitôt veloutée une fois replongé dans l’intimité du couple, le tout ponctué de standards italiens mielleux, les deux comédiens, dans une mise en scène convenue, parfois inventive, sont bluffants de sincérité et de vérité. Ils prennent plaisir à jouer ensemble, et on en prend à les regarder, même si l’on ne parvient pas totalement à aimer cet ensemble empreint de tristesse et de mélancolie.
Les comédiens jouent juste et réussissent à communiquer, leur quotidien, la misère des personnages qu’ils incarnent, mais le texte lui-même est peut être le défaut majeur d’une pièce qui du coup perd de sa force, de sa puissance dénonciatrice: que cherche d‘ailleurs à dénoncer l’auteur? Que la « classe » ouvrière peine à s’offrir des vacances décentes? Que l’on est entré dans l’ère ultra consumériste et qu’il est répréhensible d’entretenir l’illusion que l’on appartient à une catégorie sociale se distinguant par des habitudes de consommation? Que les couches les plus populaires sont condamnées à devoir rêver de ce qu’ils n’auront jamais ou de ce qu’ils ne comprendront peut-être jamais car le concret les domine et l‘abstraction leur est inaccessible? On pourrait croire que Kroetz méprise ses personnages, qu’il voit anesthésiés par le désir d’obtenir, d’acquérir toujours plus de biens matériels futiles, attirés par toujours plus de nouveautés, et passant en fin de compte à coté de l’essentiel, dont-ils n’ont finalement pas idée! Mais il n’en est rien. L’auteur aux convictions communistes affirmées décrit des personnages qu’il aime et qui le touchent mais il ne le montre pas assez car le texte ne frappe pas assez fort; il se borne à constater, à décrire la misère d’une catégorie sociale, sans jamais prendre position. Oui, il peut paraître cruel, comme le relève, amer, Karl, de savoir qu’il ne travaille pas moins que ceux qui gagnent quatre fois plus. S’il y avait une proportionnalité parfaite dans l’équation réunissant quantité de travail et quantité d’argent, ça se saurait!…
Meilleurs souvenirs de Grado de Franz Xaver Krœtz, mise en scène de Benoît Lambert
Semper Augustus
3 octobre 2007
Kafka sur le rivage
Au début, on se dit que les premières lignes qui se déploient sous nos yeux ne sont que le reflet des divagations improbables d’un cerveau malade.
On cherche en vain une cohérence, une structure qui nous permettent de comprendre où est-ce que l’auteur veut nous emmener. Un adolescent mal dans sa peau qui converse avec un garçon nommé Corbeau, un vieillard simple d’esprit qui discute avec ses amis les chats... La perplexité le dispute à l’ennui.
Murakami saute du coq à l’âne sans crier gare et on pense qu’on ne va certainement pas tarder à laisser gentiment ce livre retourner dans les tréfonds de l’oubli, parce que, franchement, on n’a pas que ça à faire.
Mais petit à petit, sans véritablement le vouloir et même à son corps défendant, on se laisse happer par l’histoire. Dans ce monde qui est le nôtre, on découvre les contrées obscures de l’inconscient qui sommeille en chacun de nous.
L’écriture est dépouillée, naïve, mais elle reste pourtant d’une efficacité redoutable. Elle est l’instrument du récit, le mettant magnifiquement en relief et lui permettant ainsi de déployer toute sa puissance.
« Kafka sur le rivage » est un diamant brut, un conte initiatique qui nous est raconté avec un onirisme aussi déroutant que délicieux et une poésie qui se retrouve à chaque page. Une fois que Murakami nous tient solidement prisonniers entre ses griffes, on ne perd plus le fil, on est entraîné avec fracas dans un univers parallèle où l’impossible n’existe pas.
C’est ici que réside la grande force de ce livre, dans la capacité de l’auteur à faire de l’extraordinaire un événement banal en nous plongeant dans la tête de ses deux héros.
Grâce à Kafka et Nakata, dont les aventures sont pourtant a priori un non-sens complet, on comprend qu’aucun acte, absolument aucun, n’est absurde à partir du moment où il correspond à une quête. Chacun poursuit un but à sa manière et sa poursuite peut parfois être le but lui-même.
A la fin, une fois que le dos du livre se referme définitivement sur les dernières lignes, on se dit qu’à bien y réfléchir, le cerveau malade n’est pas toujours celui que l’on croit...
1 octobre 2007
La nuit fantastique
Chacun a, un jour, croisé Stefan ZWEIG sur sa route. Par accident ou par chance. « Le joueur d’échec », « Lettre d’une inconnue », « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » sont quelques unes des œuvres inoubliables du célèbre auteur autrichien.
Le sang coule à nouveau dans ses veines, son cœur qu’il croyait mort se remet à battre furieusement. Il vit. Il naît. Il se révèle à lui-même, sous nos yeux avides. Il découvre l’adrénaline qui le fouette et aiguise chacun de ses sens.
Mais ce n’est qu’un début. Notre héros ne peut plus se contenter de cette timide mise en appétit maintenant qu’il a goûté aux frissons de la peur, à l’excitation de l’attente. Alors il déambule, il cherche. Et il va trouver.
Il va connaître le bonheur des bas-fonds, la sensation voluptueuse de la fange qui l’engloutit. Il va aller de plus en plus loin, aux frontières du malsain et nous allons être entraîné avec lui dans cette nuit fantastique.
Zweig veut sûrement nous dire que la vie ne vaut finalement la peine d’être vécue qu’à la condition de laisser la part belle au hasard et à l’inattendu. Point de quotidien réglé au millimètre, point de divertissements ennuyeux et répétitifs. Nous sommes les enfants du destin et il est vain de vouloir le dompter.
« La nuit fantastique » est un récit désuet et terriblement moderne. C’est d’ailleurs ce qui caractérise l’ensemble de la prose de Zweig. Ses histoires ne seront jamais passées de mode, parce que son sujet de prédilection restera toujours actuel : la foutue nature humaine.
30 septembre 2007
Une vieille maîtresse
Mais aussi vite qu'elle s'est embrasée, elle se consumera. Les amants se détacheront et Marigny, après quelques aventures non sans dommages, fera la connaissance de cette si parfaite Hermangarde, digne représentante d'une noble famille. Il se détache ainsi de l'ensorcelante espagnole et épouse la jeune file, sous l'oeil bienveillant de sa grand-mère, la marquise de Flers, à laquelle il contera, dans veillée extraordinaire, cette longue passion qui le lia naguère. Mais de celle-ci, il est délicat de s'en défaire. Et jusqu'en Normandie, là où les deux époux s'installèrent, la señora Vellini, suivra son ancien amant, remémorant à son souvenir la brûlante liaison qui les unissait. La tendre naïveté d'Hermangarde sera rapidement mise à rude épreuve, et le bonheur que semblait connaître Marigny se délitera doucement, les doutes l'assaillant.
Les Belles Endormies
Yasunari Kawabata est très peu connu en France. Et pourtant, l’œuvre de cet auteur, premier japonais à être récompensé du prix Nobel en 1968, cache de vrais petits bijoux. Les Belles Endormies en est un. Un livre presque secret, qu’on déguste avec le plaisir d’un explorateur qui découvre une terre inconnue. On ne le connaît pas, on n’attend rien – et on est agréablement surpris.
Dans cette maison secrète, il est introduit dans la chambre où une belle adolescente est plongée dans un sommeil profond. Fasciné par cette expérience, il revient encore et encore, chaque fois pour s’endormir à côté d’une fille différente, et chaque fois il y entre comme s’il entrait dans un monde magique où le temps s’arrête. Dans la chambre semi-obscure, la tendresse qu’il éprouve pour les belles endormies réveille en lui le souvenir des femmes qu’il a aimées. Emu par leur beauté résignée et par leur destin si curieux, il passe en revue sa vie à travers les femmes qui y ont laissé leur empreinte : sa mère, ses maîtresses, sa femme, sa fille.
Yasunari KAWABATA, Les belles endormies, Le livre de Poche, 1982, 124 pages, 3,33 €
25 septembre 2007
L'oeuvre
24 septembre 2007
Anybody out there
Et pourtant, je dois avouer que j’ai mis beaucoup de temps à finir Anybody out there. La quatrième de couverture faisait pourtant les éloges habituels des romans de Marian Keyes ; on lit même une phrase presque anodine : « le meilleur roman de Keyes ». Tout un programme.
Le dernier roman de celle que l’on a surnommé la reine de la chick lit irlandaise nous propose de vivre un peu plus d’un an aux côtés d’Anna Walsh. Après Claire (Watermelon), Rachel (Rachel’s holiday), et Margaret (Angels), le temps est venu d’en apprendre plus sur la quatrième sœur Walsh.
Anna est la rêveuse de la famille, celle qui a le moins le sens des réalités. Installée à New York, elle mène une vie épanouie. Jusqu’au jour où survient l’insoupçonnable. Déni, désarroi, dépression puis rédemption. Le cocktail est fort mais bien dosé : Marian Keyes distille, avec style, des petites doses d’humour, de cynisme et de poésie.
Tous les ingrédients habituels.
D’où vient alors cette absence de véritable satisfaction en reposant le livre ? Le mystère du prologue est longtemps mis de côté. Trop longtemps pour ne pas être éventé au moment de le résoudre à la fin de l’histoire. Mais il faut dire qu’il ne s’agit nullement d’un roman policier.
Est-ce vraiment le meilleur roman dont il était question sur la couverture ? Pour certaines, peut-être. Mais pas pour moi. C’est certainement un sentiment très personnel : je n’ai pas pu m’attacher à Anna comme cela avait été le cas pour Katherine (Last Chance Saloon), Lucy (Lucy Sullivan is getting married) ou Claire (Watermelon).
C’est un bon roman pour fille, mais sans doute pas le meilleur. On rit un peu, on verse une petite larme. Mais ce n’est rien de bouleversant. Rien d’incontournable.
En attendant le prochain …
Anybody out there, Marian Keyes
Penguin, 2007, 593 pages, 8 euros
Les romans de Marian Keyes sont disponibles en français chez Belfond ou Pocket.
23 septembre 2007
Noces au Paradis
Mavrodin est un écrivain reconnu, âgé d‘une trentaine d‘années et fréquentant l‘intelligentsia bucarestoise. Tout lui sourit, ses livres se vendent bien et font autorité, mais pourtant on le sent désabusé, plus rien ne le surprend. Il va même jusqu’à imaginer les réactions que peuvent susciter ses œuvres, et le prestige qu'il peut en retirer. Il est conscient du magnétisme qu'il exerce sur les autres de par cette activité et en joue, au cours des soirées mondaines auxquelles il est convié. C’est d’ailleurs au cours d’une réception qu'il rencontre Ileana, une femme d’une beauté rare, intelligente, mystérieuse et froide, et c’est peut être justement cette indifférence qui interpelle Mavrodin, lassé de savoir qu'il peut obtenir ce qu'il désire, comme l’enfant gâté qu'il est.
La magie opère instantanément. Des sentiments réciproques semblent très vite les unir; l’emballement dont fait preuve Mavrodin est à ce titre très touchant car il est animé du même enthousiasme qu'à l'âge des premiers émois, au point de susciter par moment l’écoeurement, par un excès de mièvrerie parfois irritant.
Pourtant il s’égare; ce qu'il croyait acquis va le fuir. Il ne réalisera que trop tard que bien avant qu'Ileana s'en aille, le lien qui les unissait était déjà fragile; mais tourné vers lui-même, il lui était impossible d‘en prendre conscience.
Hasnas connaîtra un destin similaire et tout aussi sévère; il se croyait «propriétaire d’une belle épouse », comme il se plaira à le dire, ce qu'elle ne tardera pas à contredire au premier faux pas de son riche époux, trop fier pour reconnaître à temps sa part de responsabilité dans leur chute.
Cette femme, Ileana pour l’un et Lena pour l’autre, n’est autre que la symbolique de l’être parfait, du « miracle » que l’on n’attendait plus et qui a permis ces noces éphémères au paradis, mais que l’on a laissé s’échapper par manque de lucidité, par naïveté, et surtout par égocentrisme qui finit, si l’on n’y prend pas garde, par ronger de manière insidieuse une relation passionnée, ne laissant place qu'aux regrets que se livrent Mavrodin et Hasnas. Les miracles n’ont-ils pas cela en commun d’être identifiés bien après leur manifestation?
Au-delà de cette métaphore à caractère divin, chère à l’historien des religions qu'est avant tout Mircea Eliade, on peine parfois à adhérer au récit, raconté par deux hommes arrogants, unis par la même femme, laquelle est décrite comme entière et ne pardonnant nuls errements. L’absence de point de vue féminin permet difficilement de prendre la mesure des décisions irrémédiables d'Ileana, qui pourraient être considérées comme hâtives, voire capricieuses, égratignant par là même l’image de la femme. Ce roman n’en reste pas moins une œuvre que l’on prend plaisir à savourer jusqu’à la dernière page, de par une plume d’une très grande poésie.
Mircea Eliade, Noces au Paradis, Editions Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1981, 265 pages
Un barrage contre le Pacifique
Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, Gallimard, coll. "Folio", 1950 (rééd. 1978, 2007), 365 pages, 6,27 €
21 septembre 2007
Et Nietzsche a pleuré
L'idée est intéressante, il s'agit d'imaginer une éventuelle rencontre entre Joseph Breuer et Friedrich Nietzsche. Quand ? En 1882. Où ? A Vienne. Le premier est un médecin viennois, excellent diagnosticien. Mais c'est aussi l'un des pères de la psychanalyse moderne, le premier médecin d'Anna O, hystérique, elle-même bien connue pour avoir été ensuite soignée par Freud, ami de la famille Breuer. Le second, naturellement, nul n'est besoin de le présenter.
Le stratagème se met en place, Nietzsche ne doit pas être au courant. Rancuneux à l'endroit de la jeune Lou, il ne serait certainement pas enthousiaste à l'idée de consulter un médecin de cette sorte. Ses amis réussissent toutefois à le persuader de se rendre à Vienne pour consulter le Docteur Breuer, afin de frotter le cas de ses atroces migraines à l'excellent diagnostic de ce dernier. Et c'est là, progressivement, que se scelle le pacte entre les deux hommes. Nietzsche, non sans réticence, accepte de rester. Toutefois, c'est à un véritable échange que les deux hommes devront se livrer. Nietzsche s'occupe de Breuer, un Breuer supposé simuler. Breuer s'occupe de Nietzsche. Analyse - bien que le concept soit encore anachronique - réciproque.
20 septembre 2007
Exposition Arcimboldo, 1526-1593
18 septembre 2007
Le rapport de Brodeck
17 septembre 2007
Le Temps de l'innocence
La haute société new-yorkaise à la fin du 19ème siècle : un tissu délicat de convenances et de préjugés. Newland Archer est un jeune homme de son époque. Fils d’une des meilleures familles de la nouvelle aristocratie américaine, nourri des traditions et des préjugés qui brodent petit à petit autour de lui une toile invisible qui l’empêche de voir plus loin que son petit monde bien rangé, il n’a jamais remis en question la structure sociale qui l’entoure. Entre théâtre, opéra et dîners mondains, il s’apprête à épouser la belle ingénue May Welland. Bien élevée, de bonne famille, douce et innocente, la jolie May sera la compagne idéale : discrète, gentille, disciplinée.
Edith Wharton, Le temps de l'innocence, Flammarion, 1993, 312 pages, 6,46 €